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M. René Thissen (PSC). - Ces dernières semaines, la presse a largement commenté la question préjudicielle posée à la Cour d'arbitrage sur le fait de savoir si la taxe compensatoire des accises appliquée aux véhicules diesel devait ou non être considérée comme violant les articles 10 et 11 de la Constitution.
Bien que la Cour d'arbitrage ne se soit pas encore exprimée en la matière, il semblerait, selon la presse, qu'un demi-million de contribuables aient introduit une réclamation afin d'être remboursés.
Les directions régionales sont donc inondées de réclamations qu'elles ne parviennent plus à gérer. On parlerait de 6.000 dossiers par jour...
Or, selon la presse, « l'encodage et la gestion des étiquettes autocollantes paralyseraient 56 terminaux et 84 agents pendant quatre semaines, pour les cinq directions wallonnes ». À titre d'exemple, l'ensemble du service des taxes spéciales de la direction régionale de Bruxelles II serait affecté à cette tâche et ne prendrait plus aucune décision en matière de taxe de circulation en général, alors que la moyenne mensuelle avoisinerait les 1.000 demandes.
Dès lors, monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre en matière de personnel et de moyens informatiques pour gérer l'afflux des réclamations, afin de ne pas pénaliser le traitement des réclamations plus « classiques », entrant dans le cadre du fonctionnement habituel des services ?
Par ailleurs, dans le cas d'une modification intervenue au cours d'un exercice d'imposition de la taxe de circulation - parce que le véhicule immatriculé cesse d'être inscrit à la DIV qu'il ait ou non été remplacé -, le redevable a droit au dégrèvement de la taxe payée ou enrôlée à concurrence des mois non écoulés de la période imposable. Or, il semble que ces dégrèvements soient actuellement bloqués depuis un certain temps, ce que l'on peut comprendre, étant donné ce que je viens d'indiquer.
Quelles sont ou vont être les mesures que vos services comptent prendre afin de régulariser la situation dès lors qu'ils doivent actuellement gérer un afflux de réclamations en matière de taxe compensatoire des accises ?
M. Didier Reynders, ministre des Finances. - Je confirme qu'il existe effectivement un grand nombre de recours, des centaines de milliers de réclamations en faveur du dégrèvement d'office de la taxe compensatoire des accises sur le diesel. Cet afflux de réclamations représente, d'après nos dernières estimations, plus de 300.000 demandes. Je souhaite à nouveau mettre l'accent sur le fait qu'à ce jour, aucun tribunal européen ou belge n'a décidé que la taxe compensatoire d'accises sur les véhicules diesel était illégale et qu'il faille, d'une quelconque manière, modifier la législation mise en place au début des années `90 pour prélever cette taxe au moment où un des mes prédécesseurs prélevait également des augmentations d'accises sur l'essence.
Il est exact que la Cour d'appel de Gand a posé, en février 2000 si je ne me trompe, une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage, à la suite d'une action intentée par un particulier qui estimait que cette taxe était contraire au principe constitutionnel d'égalité et qu'elle comportait dès lors un élément de discrimination.
En attendant que la Cour d'Arbitrage ou une autre juridiction prenne attitude un jour à l'encontre de cette taxation, celle-ci est due et doit effectivement être acquittée. La réponse à l'ensemble des demandes de dégrèvement est assez simple : il n'en est pas question. La loi est la loi ; elle doit être appliquée.
On pourrait évoquer le sentiment d'autres contribuables à l'égard du caractère discriminatoire de certains impôts. Traiter différemment des situations de fait, mais en fonction de critères objectifs n'entraîne évidemment aucune discrimination au sens constitutionnel du terme. Sinon, par exemple, l'ensemble de la taxation de l'impôt des personnes physiques pourrait poser problème puisque, comme vous le savez, en fonction des niveaux de revenus, le pourcentage de taxation est différent. A partir du moment où l'on se fonde sur un critère avec un objectif raisonnable, la discrimination n'intervient pas.
Il n'y aucune raison à ce jour de mettre en doute l'application de cette taxation. Je regrette d'ailleurs d'une certaine façon que l'on ait incité à ce point un certain nombre de contribuables à effectuer des démarches, en ce compris par envoi recommandé, pour une réponse qui est de toute manière négative. S'il devait y avoir un quelconque changement jurisprudentiel à l'égard de cette taxation, nous en tirerions les conséquences légales. Je l'ai fait l'année dernière pour les rentes sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, à la suite d'une décision de la Cour d'arbitrage qui pourtant datait de décembre 1998, mais dont on avait pas encore tiré les conclusions sous le gouvernement précédent.
Actuellement, l'administration tente de traiter le flux de réclamations. Elle a mis au point, à cet effet, un schéma simplifié pour l'enregistrement informatisé de ces demandes. L'implication du personnel et des informaticiens à cet effet a immanquablement un impact négatif sur d'autres travaux. Il est regrettable que toutes ces réclamations pendantes, sans doute introduites à juste titre, accusent un retard de traitement en raison d'une masse de réclamations portant sur une taxe qui jusqu'à ce jour est toujours légalement due.
Nous simplifions la manière de tenir à jour le dossier de ces quelques centaines de milliers de réclamations.
Il se pourrait qu'à l'avenir, sur d'autres éléments de taxation, nous soyons aussi confrontés à un envahissement de réclamations, à une sorte de résistance civile à un impôt. Il faudra trouver des formes de réponse collective, en ce compris à travers des systèmes de publication. Je demanderai à mon administration d'y réfléchir. Il est évident que l'on ne peut comparer ces 300.000 ou 400.000 réclamations à des dossiers individuels de contestation dans le cadre du prélèvement de l'impôt des personnes physiques, par exemple.
Pour l'instant, je dois vous confirmer que la loi est bien d'application, que la taxe est levée et que, pour le reste, des moyens nouveaux n'ont pas été dégagés pour traiter de ces problèmes mais que l'on recourt plutôt à des procédures simplifiées.
Pour ce qui concerne les retards dans le remboursement de la taxe de circulation, ce phénomène est dû à plusieurs facteurs. Le système de perception automatisée de la taxe a été étendu à quelque 500.000 véhicules supplémentaires (camionnettes, remorques, véhicules de camping et d'autres encore), alors que le service automatisation du département était déjà confronté aux difficultés liées au passage à l'an 2000 et à l'introduction de l'euro dans l'ensemble des programmes informatiques. L'adaptation à de nouvelles dispositions légales, prises sous la précédente législature, a dès lors entraîné un retard dans les travaux informatiques.
Je peux vous rassurer. Toutes ces modifications sont aujourd'hui intégrées dans le nouveau programme et le rattrapage s'opère de manière accélérée au cours des premiers mois de l'année. L'ensemble des remboursements devraient être enrôlés pour la fin du mois de mai.
J'espère qu'à l'avenir, l'investissement que nous réalisons dans l'informatisation du département - nous avons en effet prévu 30% d'augmentation de ce budget à partir de 2001 - permettra d'éviter cette situation. Certes, chaque fois que des modifications légales fondamentales interviennent à propos de la levée d'une telle taxe, cela entraîne des réécritures de programmes et d'autres difficultés.
Je résume : le problème que vous soulevez dans la deuxième partie de votre question devrait être réglé pour le mois de mai ; quant au premier problème, nous avons simplifié au maximum le traitement des dossiers puisque la loi est la loi et qu'elle doit être appliquée, quelles que soient les demandes de dégrèvement adressées.
M. René Thissen (PSC). - Vous avez effectivement répondu à l'ensemble de ma question. Ma préoccupation à l'égard de la taxe compensatoire aux accises était de savoir si toute la procédure habituelle relative aux réclamations serait mise en oeuvre, ce qui risquait d'avoir un impact considérable sur l'organisation du travail.
Vous me dites qu'un système simplifié a été mis en place. Il nous reste à attendre la position que prendra la Cour d'arbitrage. On pourra alors envisager une mesure simple telle que le dégrèvement d'office.
Pour ce qui concerne la taxe de circulation, je note que le problème sera réglé pour fin mai. Cela me paraît un délai raisonnable.
Quant à l'augmentation des moyens mis à la disposition de l'informatique au ministère des Finances, 30%, c'est déjà bien mais, compte tenu du retard accumulé et du déficit de performance du système informatique du ministère des Finances, cela ne sera peut-être pas suffisant, d'autant plus que de nouveaux besoins apparaissent avec le passage à l'euro. Je ne suis pas certain que tout soit déjà au point et que des investissements complémentaires ne soient pas encore nécessaires.
M. Didier Reynders, ministre des Finances. - Je voudrais brièvement apporter deux précisions.
La première concerne le budget informatique. Nous passons d'un budget de l'ordre de 1,8 milliard à un peu plus de 2,5 milliards. Pour permettre une comparaison, je vous dirai que le budget d'investissements d'une entreprise comme la SNCB, qui représente 25 milliards de francs, n'a été augmenté que d'un milliard. L'effort du département des Finances en matière d'informatique, qui atteint près de 600 millions, est quand même significatif.
Deuxième élément, pour dissiper tout doute à propos de la décision prochaine de la Cour d'arbitrage, je dirais qu'elle pourrait être favorable à l'État et que même si elle mettait en péril la taxation actuelle en invoquant une discrimination, la réponse pourrait être de différente nature. Je vous rappelle que, comme son nom l'indique, cette taxe est compensatoire d'accises. Les accises ont été fortement accrues sur l'essence dans les années nonante mais pas sur le diesel. Si l'on devait traiter de manière équivalente les consommateurs de diesel et d'essence, nous devrions accroître à nouveau les accises, ce qui générerait une recette de plus de 20 milliards pour l'État, alors que la taxation compensatoire actuelle rapporte entre 8 et 9 milliards de francs.
J'attire l'attention sur le fait qu'un certain nombre de contribuables sont peut-être en train de se plaindre que l'État ne prélève pas assez d'impôts sur l'utilisation qu'il font d'un véhicule automobile. Cela me paraît être une démarche d'un civisme assez extraordinaire. Je ne suis pas certain que cela ait été perçu de manière aussi claire par tous ceux qui introduisent des réclamations.
La conséquence ne sera pas nécessairement favorable aux contribuables concernés. Quand on met en cause le caractère discriminatoire d'une taxation par rapport à une autre, il faut savoir quel résultat on peut obtenir.
Vous évoquez les suites d'un arrêt de la Cour d'arbitrage. J'ai déjà dit à plusieurs reprises, mais je tiens à répéter aujourd'hui que c'était le cas pour des frontaliers, qui se sont également plaints d'une discrimination. J'ai dû faire remarquer à certains d'entre eux que l'application de la décision de justice qu'ils avaient obtenue allait entraîner une augmentation de leur taxation. Cela a permis de régler plutôt à l'amiable un certain nombre de dossiers, car peu de contribuables - il en existe peut-être - entreprennent une démarche de réclamation pour obtenir une majoration de leurs impôts. C'est assez rare, mais cela vaut la peine d'être salué.
M. René Thissen (PSC). - La taxe compensatoire a été instaurée par un règlement. Si la Cour d'arbitrage rendait un arrêt cassant cette décision, il ne serait pas question pour l'État de pouvoir récupérer ce qui a été perdu, en remplacement de cette compensation.
M. Didier Reynders, ministre des Finances. - J'ai souvent répondu à cette question dans les deux assemblées. N'oubliez pas qu'il s'agit d'une procédure sur question préjudicielle, qui s'appliquera au cas de l'espèce. Nous devrons surtout y apporter une solution par voie légale. Cela ne signifie pas que l'on résoudra la question en revenant sur la taxation telle qu'elle a été perçue ; cette solution pourrait se traduire par d'autres orientations.
J'ai simplement voulu signaler cet élément à plusieurs reprises, parce que je crois que beaucoup de fausses informations ont parfois sciemment été diffusées sur le sujet, puisque l'on a été jusqu'à propager par voie d'e-mail ou de courrier non électronique l'information selon laquelle la taxe était annulée. Beaucoup de contribuables de bonne foi ont introduit une réclamation, convaincus que la taxe avait été annulée, ce qui n'est pas le cas et ne le sera pas dans la décision de la Cour, même si une décision défavorable à l'État intervenait. Quoi qu'il arrive, il appartiendra encore au gouvernement de proposer au parlement une solution pour éventuellement corriger une discrimination mais, je le répète, toutes les possibilités de correction sont ouvertes.
-Het incident is gesloten.