1-116 | 1-116 |
Sénat de Belgique |
Belgische Senaat |
Annales parlementaires |
Parlementaire handelingen |
SÉANCES DU JEUDI 12 JUIN 1997 |
VERGADERINGEN VAN DONDERDAG 12 JUNI 1997 |
M. le président. L'ordre du jour appelle la demande d'explications de M. Jonckheer au Premier ministre.
La parole est à M. Jonckheer.
M. Jonckheer (Écolo). Monsieur le président, en guise d'introduction, je tiens à remercier M. le Premier ministre d'avoir accepté de répondre à cette demande d'explications.En tant que parlementaire, je le remercie d'être présent ce matin au Sénat. Je pense qu'il est opportun de rappeler ici que le Sénat a gardé ses prérogatives constitutionnelles pleines et entières en matière d'assentiment de traités internationaux et qu'en vertu de la Constitution, il a même la première lecture de ces traités. Nous aurons donc, dans cette assemblée, la première discussion sur les conclusions de la réforme des traités européens.
J'estime, monsieur le Premier ministre, que l'information qui a été donnée par votre gouvernement au Parlement a été tout à fait correcte. Le Comité d'avis sur les questions européennes, qui est un comité d'avis fédéral de la Chambre et du Sénat, s'est réuni à plusieurs reprises et le ministre Derycke et ses collaborateurs les plus immédiats nous ont fourni beaucoup d'informations et ont répondu à toutes nos questions. J'en conclus que si les parlementaires veulent s'intéresser aux questions européennes, ils le peuvent. Dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, il s'agit simplement d'une question d'intérêt et de volonté politique.
Tout d'abord, je rappellerai, à titre d'introduction, où en est l'état de la négociation. Nous avons en notre possession le document du 30 mai de la présidence néerlandaise. Il compte 140 pages et je ne les passerai bien évidemment pas toutes en revue ! Selon mes informations, la version remaniée de ce document, qui doit nous être fournie aujourd'hui par la présidence néerlandaise, ne sera guère différente de la version du 30 mai.
Comme vous le savez, nous avons trois ministres dans trois gouvernements européens et, par conséquent, nos canaux d'information se sont améliorés. Les informations que j'ai obtenues hier, en provenance de différents pays, me permettent de vous dire aujourd'hui qu'il n'y a pas d'accord, au niveau de la Représentation permanente, sur bon nombre de chapitres du texte de la présidence néerlandaise. Je concentrerai mon intervention sur ces chapitres.
J'aborderai également un second problème, à savoir celui de la nouvelle donne politique au sein de l'Union européenne qui, à mon sens, est double. Il y a tout d'abord la difficulté qu'éprouvent un certain nombre de gouvernements et non des moindres, la République fédérale d'Allemagne et la France à atteindre, dans les délais prescrits, le solde budgétaire imposé par Maastricht, à savoir 3 %. L'Allemagne a les difficultés budgétaires que l'on connaît et, en France, si le Premier ministre ne procède pas à des coupes budgétaires, les prévisions pour 1998 indiquent une remontée du déficit budgétaire à 3,8 %; je me base ici sur les informations publiées dans Le Monde. Il y a donc manifestement une difficulté à respecter non pas l'esprit, mais les chiffres imposés par le Traité de Maastricht. Le deuxième élément de changement de la donne politique est bien évidemment le résultat des élections britanniques et françaises. La presse a abondamment souligné qu'en raison de ces résultats, nos amis socialistes porteront une responsabilité particulière et éminente au cours des prochaines années en Europe...
M. Dehaene, Premier ministre. Vous parlez du bloc homogène socialiste européen ?
M. Jonckheer (Écolo). Votre question est pertinente, pleine d'ironie et de justesse, mais je constate que nous sommes passés de neuf à douze chefs de gouvernement socialistes, et que cette représentation est suffisamment significative. Vous avez sans doute assisté hier au débat du Parlement européen à Strasbourg.
Sans m'y attarder, je rappellerai la position du groupe des verts : au vu de la difficulté politique de parvenir à un accord sur des points essentiels je pense à l'économie, au secteur social, à l'emploi d'une manière générale , nous plaidons avec conviction, étant donné la nouvelle donne politique qui est intervenue dans le paysage politique européen, pour un changement de cap dans les négociations actuelles. Il conviendrait, à mon sens de se concentrer sur l'Union monétaire en reprenant votre slogan « Tout Maastricht et rien que Maastricht », mais sans jouer à nous faire peur, en constatant que la convergence nominale dans les pays européens est une réussite, puisqu'ils se sont alignés sur des politiques de réduction du déficit budgétaire, si l'on interprète l'esprit du Traité de Maastricht, vous savez comme moi qu'un projet politique aussi important que la création de la monnaie unique ne peut pas dépendre d'un solde budgétaire fixé entre 3,5 et 3 % pour l'ensemble de l'Union européenne.
Il faut, à mon avis, s'atteler à la mise en oeuvre de la monnaie unique, en respectant le calendrier de Maastricht, er reporter la négociation, dite d'Amsterdam. Si l'on veut adopter un scénario véritablement plausible et se donner le temps de convaincre nos partenaires; il conviendrait de la reporter au-delà du 1er janvier 1999. Cela nous permettrait de profiter notamment des travaux de la présidence luxembourgeoise, qui annonce des efforts sur la fiscalité, et de ne pas interférer dans le calendrier de la monnaie unique.
Je devine que la seule objection que vous pourriez m'opposer serait le report de l'élargissement. Sur ce point, je dirai simplement que l'on a trop tendance à faire l'impasse sur les accords d'association existant, au niveau de l'Union européenne, avec l'ensemble des pays concernés et qu'il serait judicieux d'en faire une évaluation plus sérieuse. Ces accords contiennent des programmes substantiels, dont le programme PHARE, portant sur l'aide budgétaire à ces pays.
Quant au volet sécurité, nous notons des progrès au niveau de l'O.T.A.N., qui modifie ses options, y compris dans les pays de l'Est., de même qu'au niveau d'autres institutions, dont le Conseil de l'Europe et l'O.S.C.E. Cela permettra à la fois de sécuriser les pays d'Europe centrale et orientale et d'opérer une transition vers le modèle européen de l'ouest, beaucoup plus progressive que ce n'est le cas actuellement. Il suffit de s'en référer à la Tchéquie, citée en exemple, mais qui rencontre à présent des difficultés. Cela prouve qu'il ne faut pas trop accélérer le rythme.
Cela dit, je suis conscient, monsieur le Premier ministre, que ce n'est ni votre choix ni celui de vos collègues démocrates chrétiens ou du parti populaire européen. Il semble que ce ne soit pas non plus celui du parti socialiste M. Busquin s'en expliquera sans doute tout à l'heure ni celui des socialistes européens.
Par conséquent, nous nous préparons vraisemblablement à conclure à Amsterdam. Si le gouvernement belge en décide ainsi, avec quelle ambition et au service de quel projet agira-t-il ? Les deux éléments doivent aller de pair; il ne s'agit pas de développer une ambition démesurée pour le plaisir. Il nous faut suivre et j'y insiste un raisonnement rigoureux et intellectuellement correct, qui consiste, d'abord, à définir les enjeux et les projets et, ensuite, à déterminer les instruments nécessaires pour y parvenir.
Quels sont ces enjeux ? Sur ce point, nous serons sans doute d'accord : nous avons le marché unique, nous aurons bientôt la monnaie unique et nous devons nous interroger sur ce qui sera nécessaire pour en arriver à un modèle de société européenne renouvelé, que tout le monde appelle de ses voeux. Nous devons tenir compte d'un certain nombre d'implications qui sont liées à l'Union monétaire; je pense notamment au financement des systèmes de sécurité sociale ou à la concurrence accrue sur les coûts salariaux à l'intérieur même de l'Union.
J'estime qu'il est nécessaire que nous nous donnions plus de temps pour convaincre car, comme vous le savez, la ratification d'une révision des traités est soumise à l'unanimité des Quinze. Il n'y a en fait, pas d'accord entre les Quinze il ne s'agit pas là d'un élément nouveau sur la nécessité de développer des politiques européennes de nature supranationale et, en tout cas, sur le même ensemble de domaines de compétences. Cette situation explique que l'on a élargi le champ de la négociation depuis 1996. Le Traité de Maastricht prévoyait une révision et le calendrier était, à mon sens, assez mauvais car nous voulons traiter trop de problèmes à la fois, mais nous sommes embarqués dans ce scénario, soit... Nous avons déjà le marché unique; nous pourrons atteindre la monnaie unique si nous avons la volonté politique d'y parvenir, mais nous serons confrontés ensuite à des problèmes plus délicats, comme celui de la majorité qualifiée au Conseil, celui du rôle du Parlement européen et toute la problématique de la coopération renforcée.
Revenons donc à la question « quelle ambition pour quel projet ? » Le mémorandum du gouvernement belge contenait un certain nombre de dispositions fort intéressantes, qui se traduisaient dans la tradition politique et diplomatique de notre pays, et que je me permettrai de résumer en trois axes : la monnaie unique, l'approfondissement avec l'élargissement, la méthode communautaire, qui est supérieure à la méthode intergouvernementale.
Il s'agit là d'un résumé très succinct, j'en conviens, de ce mémorandum. En ce qui concerne l'approfondissement, il est clairement dit que, dans une logique de croissance et de compétitivité et sur ce point j'émettrai quelques réserves , il faut encadrer le marché intérieur; il faut un socle social, fiscal et environnemental défini en fonction de décisions prises à la majorité qualifiée. On y mentionne également cette notion de convergence sociale, qui s'avère déjà être un objectif plus ambitieux, et la nécessité de porter une attention particulière au développement des services publics au sein de l'Union européenne.
Si l'on part de cette position-là et si l'on y ajoute la position des socialistes européens dans leur déclaration à Malmö, je constate que trois conditions ont été formulées.
En premier lieu, l'intégration des droits sociaux fondamentaux dans le Traité européen et non pas seulement dans le préambule; à ma connaissance, cela n'est pas encore réalisé.
En deuxième lieu, un renforcement du chapitre sur l'emploi, on plaide dans le document de Malmö pour un équilibre entre les politiques économiques, sociales et d'emploi. Le texte actuel de la présidence néerlandaise ne prévoit pas cet élément car il maintient le principe de la subordination et, de plus, il y a toujours contestation à propos du paragraphe 5 sur l'emploi.
Enfin, troisième point dans la déclaration de Malmö : la majorité qualifiée pour les domaines social, environnemental et de la fiscalité, en son volet environnemental.
À la lecture de la déclaration du P.P.E. de la réunion du 5 juin, on retrouve plus ou moins les mêmes points. On parle de réforme substantielle, de majorité qualifiée comme règle générale dans les politiques du premier pilier, de codécision élargie et, de façon plus prudente, on manifeste la volonté de voir les Luxembourgeois prendre des initiatives en matière fiscale. Dans la logique que vous défendez, ces positions me paraissent constituer un premier pas intéressant.
J'en viens à présent au texte de la présidence néerlandaise. J'aborderai uniquement les chapitres politique, économique et social et celui relatif à l'emploi. Je dirai également quelques mots sur les problèmes de justice et d'immigration. M. Lallemand, qui me fait l'honneur d'être présent, accorde certainement beaucoup d'importance à ces points.
En ce qui concerne l'emploi, le débat qui a lieu à propos de la politique à mener en la matière m'étonne quelque peu. À l'échelon européen, cette politique est définie dans les conclusions du Conseil européen d'Essen. À l'évidence, le chapitre consacré à cette matière est de pure procédure. Les ministres de l'Emploi ou des Affaires sociales sont invités à se réunir et à copier les grandes orientations de politique économique suivies par les ministres des Finances. Il est précisé que les éventuelles propositions des ministres des Affaires sociales doivent être subordonnées aux grandes orientations de politique économique. Ce point est différent par rapport à la revendication des socialistes.
Toujours dans le chapitre Emploi, l'article 5 prévoit une procédure de codécision mais, apparemment, l'unanimité des Quinze n'a pas été dégagée sur ce point pour mener des actions d'encouragement, mais en excluant toute disposition d'harmonisation législative et réglementaire.
Je vous poserai une question précise, monsieur le Premier ministre, en ce qui concerne le chapitre sur l'emploi. Pouvez-vous me donner un exemple concret d'actions d'encouragement, telles qu'elles figurent dans cet article 5, et qui soient menées sans dispositions d'harmonisation législatives et réglementaires ? Peut-on imaginer qu'il s'agit de dispositions de type budgétaire ? Mais, à mon avis, celles-ci existent déjà, que ce soit à travers les fonds structurels ou en matière de prêts via la Banque européenne d'investissements et les autres fonds.
En ce qui concerne la politique sociale, on se gausse de l'insertion de l'accord social dans le traité. Celle-ci est certes importante mais elle dépend uniquement du résultat des élections britanniques. Pour les travailleurs et les citoyens de l'ensemble des quatorze pays, la situation reste inchangée. À cet égard, voici quelques semaines, vous avez cité l'exemple des travailleurs de Renault Vilvorde. Le fait d'insérer le protocole social dans le Traité ne change en rien leur situation.
Si un accord unanime des Quinze est dégagé ce qui n'est pas le cas selon mes informations quel changement peut-on noter ? En termes de contenu, le seul que l'on puisse relever est l'ajout d'un paragraphe sur l'exclusion sociale. Le deuxième est peut-être plus important. Il a trait à la procédure de codécision quand la majorité qualifiée est requise. À cet égard, le gouvernement belge avait introduit une proposition courageuse en réclamant la majorité qualifiée dans tous les domaines de la politique sociale. Cette proposition ne figure pas dans le texte de la présidence néerlandaise.
M. Moens, vice-président,
prend la présidence de l'assemblée
Ma troisième remarque concerne un point de blocage au sujet duquel, à ma connaissance, le gouvernement belge n'a pas introduit de demande. Dans le chapitre de la politique sociale, les prescriptions minimales sont maintenues. Pour ma part, je pose toujours la même question, à laquelle, jusqu'à présent, je n'ai obtenu aucune réponse : sur la base d'une législation sociale européenne minimale, comment formuler une politique sociale d'harmonisation dans le progrès, en vertu de l'article 117 du Traité actuel ? Comment développer une notion de convergence sociale, laquelle suppose que l'on se rapproche d'une certaine norme ? À cet égard, celle de l'harmonisation dans le progrès signifie donc bien qu'il ne s'agit pas d'une norme minimale. Ne renonce-t-on pas purement et simplement à cet objectif d'harmonisation sociale dans le progrès ?
En ce qui concerne l'environnement, aucun changement n'est opéré. Je constate seulement des changements de forme. On introduit un nouvel article, l'article 7, qui reprend une disposition importante mais déjà contenue dans le Traité : le principe de cohérence. Toutes les politiques sectorielles de l'Union doivent prendre l'impact environnemental en considération. Cet élément important est simplement extrait du chapitre « Environnement » et repris au début du texte. Des efforts ont donc été fournis mais ils ne sont pas aussi importants qu'on veut nous le faire croire.
Une procédure de codécision est prévue en ce qui concerne l'article 130S, paragraphe 1er . Le document de la présidence néerlandaise ne prévoit rien en matière de fiscalité environnementale : l'article 130S, paragraphe 2, reste soumis à la règle de l'unanimité et à la consultation du Parlement européen. Autant dire que la taxe « Énergie CO2 », pour ne prendre que cet exemple, a peu de chance d'être appliquée.
Je constate avec plaisir que les socialistes européens, réunis à Malmö, ont approuvé le principe suivant : « Détaxer le travail pour taxer les nuisances. » Dans ses tentatives de financement alternatif de la sécurité sociale, le Premier ministre tente également de promouvoir cette idée. Je constate toutefois qu'à l'échelon de l'Europe, un blocage risque de s'installer en la matière, sauf si j'y reviendrai dans ma conclusion on trouve une porte de sortie, une échappatoire, au travers du mécanisme dit de coopération renforcée.
Le contenu du fameux socle, de l'encadrement du marché intérieur les chapitres « emploi », « mesures sociales » et « environnement » , est donc très décevant. L'incertitude règne toujours en ce qui concerne les procédures de décision.
Je voudrais formuler quelques observations au sujet de la politique économique et du Pacte de stabilité.
Le débat sur le Pacte de stabilité ajout, passé sous silence, mais bien réel au Traité de Maastricht a été imposé.
Le Pacte de stabilité comprend plusieurs règlements, notamment le règlement communautaire sur la correction des déficits excessifs et sur la norme d'orientation budgétaire à moyen terme l'équilibre budgétaire dont il n'est plus beaucoup question mais qui est pourtant bien réelle.
Les autres éléments du pacte, par exemple les liaisons entre les monnaies du premier cercle monétaire et celles du second cercle je pense notamment aux arguments techniques sur la continuité juridique des contrats , sont indispensables.
Le règlement communautaire sur les normes d'orientation budgétaire est, à mon avis, à la fois superflu et excessif. Il est superflu car l'article 104C du Traité de Maastricht comprend déjà toutes les dispositions de correction envisageables en cas de déficit excessif, y compris les amendes et les sanctions. Il aurait peut-être simplement fallu ajouter, à l'article 104C, un alinéa précisant que les dispositions figurant actuellement dans cet article restent évidemment valables après 1999, c'est-à-dire à partir de l'instauration de la monnaie unique. Je suis disposé à accepter cet ajout mais, je le répète, les autres dispositions me semblent tout à fait superflues.
Ce règlement est donc également excessif. En effet, je n'ai toujours pas compris la logique macro-économique qui consiste à imposer une norme d'équilibre budgétaire à l'ensemble des États de l'Union européenne. Lors du débat, j'ai interpellé à plusieurs reprises le ministre des Finances ainsi que le Premier ministre. À mon sens, il existe en Belgique une confusion entre la situation de notre pays et celle de l'ensemble des États de l'Union européenne.
Je suis d'accord sur le fait que la Belgique doive poursuivre une politique en matière de réduction du déficit public, car notre dette est trop importante. C'est également vrai pour l'Italie. Cependant, par rapport à l'ensemble des autres pays de l'Union européenne, notre pays se situe en dessous des 60 % imposés par le Traité. Il est ici question d'un règlement communautaire, c'est-à-dire de l'acte juridique le plus contraignant qui soit, lequel est directement applicable aux États membres. Il ne s'agit pas d'une directive ou d'une résolution comme celle qui sera proposée à M. Jospin.
Peut-on se contenter, monsieur le Premier ministre, d'ici l'an 2000 ou au-delà, de mener des politiques macro-économiques simultanées de réduction des déficits publics dans l'ensemble des pays de l'Union européenne ? Est-ce là la politique macro-économique que vous nous annoncez, sans prendre en considération l'évolution de la distribution des revenus dans les pays de l'Union européenne ce qui, selon moi, constitue une problématique majeure sur laquelle les économistes européens sont en conflit et sans tenir compte d'un taux de chômage structurel élevé et d'un taux d'emplois insuffisant ?
Personnellement, je ne vois pas comment le fait de poursuivre une politique simultanée de réduction des déficits publics pourra redonner confiance aux gens, qu'il s'agisse des consommateurs ou des entrepreneurs. Comment retrouvera-t-on cette confiance, pourtant bien nécessaire face à la précarité des jobs créés, face aux inquiétudes qui se manifestent en la matière ?
Le rapport de l'O.C.D.E. au sujet des propositions de réforme, notamment en Belgique fort heureusement, l'actuel gouvernement y est opposé, mais ce ne sera peut-être pas le cas du prochain est éloquent à ce sujet. Par ailleurs, il faut également tenir compte de la montée de la pauvreté dans les pays de l'Union européenne.
Je voudrais faire ici une parenthèse. Le Sénat a organisé un débat extrêmement intéressant sur l'exclusion sociale, et ce à l'initiative d'une parlementaire de votre parti, Mme Cantillon. En ce qui concerne le modèle britannique, le professeur Atkinson, membre de la Commission royale sur l'exclusion sociale, nous a dit M. Busquin était présent qu'au niveau des taux de chômage et de l'emploi, le Royaume-Uni atteignait de meilleurs résultats que de nombreux pays de l'Union européenne. Cependant, il a attiré notre attention sur le fait que le Royaume-Uni était également le champion en matière de croissance des taux de pauvreté, qu'il définit d'une certaine manière. Une corrélation manifeste apparaît entre le développement d'un certain nombre d'emplois extrêmement précaires les working poors et l'augmentation des taux de pauvreté. Est-ce là le renouvellement du modèle social européen que nous souhaitons ?
À mon sens, non, mais alors, nous devons nous donner les moyens nécessaires. En termes de priorité absolue sur la politique économique, nous devons obtenir l'harmonisation fiscale de l'impôt des sociétés et du revenu des capitaux, laquelle permettra d'agir sur la redistribution des revenus. Nous devons mettre en place des mesures de détaxation du travail et de taxation des nuisances.
Expliquez-moi, monsieur le Premier ministre, comment vous comptez mettre en oeuvre les propositions du rapport Monti élaboré par le groupe de travail au sein duquel M. Willockx représente le ministre des Finances et de la Commission européenne, sans modifier les bases juridiques du traité ?
Par ailleurs, selon moi, il convient d'éviter un dumping social. Personnellement, j'accorderais beaucoup moins d'importance au libellé du chapitre « emploi » qu'au chapitre « politique sociale ». En effet, le dumping social est une confrontation des législations qui organisent le marché du travail.
M. le président . Monsieur Jonckheer, en vertu de l'article 39 du règlement, je vous prie de bien vouloir conclure.
M. Jonckheer (Écolo). J'en arrive à mes conclusions, monsieur le président.
Certaines conditions doivent donc être réunies. Si l'on veut mettre en oeuvre une nouvelle politique macro-économique européenne, la majorité qualifiée doit être instaurée dans les domaines environnemental, fiscal et social, non pour des raisons idéologiques mais pour atteindre cet objectif. Le protocole social doit également être amélioré.
Comme promis à M. Lallemand, j'en viens au troisième pilier. La surprise est générale quant à l'idée de transférer du troisième pilier vers le premier, un certain nombre de domaines qui touchent aux libertés publiques fondamentales, c'est-à-dire les politiques d'asile et de l'immigration, la coopération policière, etc.
À mon avis, trois problèmes majeurs se posent. Il s'agit tout d'abord du rôle du Parlement européen. Nous sommes fidèles à la méthode communautaire. Dans l'histoire de la construction européenne, le fait d'accorder au Conseil des ministres européens un pouvoir de législation communautaire serait une première. Les parlements nationaux n'auraient plus rien à dire; il leur reviendrait seulement de transcrire dans leur droit interne les dispositions prises à l'échelon européen. De plus, le Parlement européen n'aurait qu'un droit de consultation alors que les matières visées ont trait à des libertés publiques fondamentales. Est-on bien conscient de la portée des dispositions que l'on s'apprête à prendre ?
Pour ma part, je ne nie pas la légitimité démocratique du Conseil des ministres européens mais c'est une légitimité de deuxième degré. Dans des matières qui, traditionnellement, font partie des libertés publiques fondamentales, on assiste à un glissement manifeste au détriment des parlements nationaux et du Parlement européen. À mes yeux, cette évolution est inacceptable.
Le deuxième point concerne le protocole sur le droit d'asile réclamé par les Espagnols. Je dis clairement et à voix haute à cette tribune : est-on bien conscient du fait que l'on propose de facto de supprimer le droit d'asile un droit individuel aux nationaux à l'intérieur des pays de l'Union européenne ?
Je vois que M. Busquin n'est pas d'accord avec mes propos; sans doute estime-t-il que j'exagère quelque peu. Je lui suggère de relire les textes. La quatrième clause d'exception prévue dans le protocole figurant dans le document de la présidence néerlandaise est une présomption négative. Pour un juriste, il est inacceptable qu'un droit aussi fondamental que celui du droit d'asile soit supprimé. Dans une perspective d'élargissement, demain, la Turquie sera concernée ainsi qu'un certain nombre des pays de l'Europe de l'Est.
M. le président. Monsieur Jonckheer, je vous invite à conclure.
M. Jonckheer (Écolo) Toujours en ce qui concerne ce troisième pilier, j'en viens au troisième élément inacceptable. Il s'agit du maintien de la distinction entre nationaux et résidents légaux de pays tiers. Selon moi, cette disposition équivaut également à un recul.
Dans le débat actuel, la volonté de respecter le calendrier prime sur tout le reste.
Par ailleurs, les articles de procédure et les engagements généraux sont favorisés au détriment d'une amélioration réelle des compétences et des capacités de décisions. Les propositions soumises à M. Jospin concernant sa résolution sur l'emploi, sont en fait des articles figurant déjà dans le Traité de Maastricht.
Enfin, monsieur le Premier ministre, j'attendais de votre part une attitude plus forte et plus soutenue à l'égard de la demande exprimée par M. Jospin de reporter, ne fût-ce que de quelques semaines, certains points.
En ce qui concerne les questions institutionnelles, les problèmes de majorités qualifiées, nous pensons qu'il ne faut pas céder. Nous savons très bien qu'à terme, dans une perspective d'élargissement, nous perdrons des commissaires. L'élargissement conduira inévitablement à un affaiblissement du groupe parlementaire belge. Il nous reste le Conseil des ministres, où la pondération des voix est un élément essentiel pour le maintien des équilibres politiques, y compris entre petits et grands pays. Il ne faut pas céder sur ces dispositions aussi longtemps que nous n'obtenons pas, au moins, les majorités qualifées sur les politiques que nous réclamons.
J'aurais souhaité pouvoir m'étendre davantage, mais je vais écouter M. Busquin et M. le Premier ministre avec intérêt. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Busquin.
M. Busquin (PS). Monsieur le président, je me suis inscrit dans la demande d'explications de M. Jonckheer toujours bien documenté pour avoir l'occasion de réaffirmer combien le Sommet d'Amsterdam est important pour les socialistes.
Monsieur le Premier ministre, nous mesurons l'énorme responsabilité qui pèsera sur vos épaules ainsi que sur celles de tous les chefs d'États européens. Nous pensons qu'Amsterdam est un rendez-vous crucial dans l'histoire démocratique pour l'avenir social et humaniste de l'Europe.
J'ai souhaité intervenir pour la première fois au Sénat afin de marquer notre volonté politique.
La Belgique a toujours été un des plus ardents défenseurs de la cause européenne. Cette fois-ci encore, le gouvernement belge a été l'un des plus actifs lors de la Conférence intergouvernementale chargée de réviser les traités. Je voudrais ici exprimer ma satisfaction que les positions du gouvernement belge reflètent assez fidèlement les priorités de notre parti, en bonne entente avec ses partenaires : emploi, Europe sociale, harmonisation fiscale, service public, ...
Mais, il faut bien l'avouer et ici je rejoins M. Jonckheer , jusqu'il y a peu, les perspectives d'une réelle avancée au Sommet d'Amsterdam étaient faibles. Nous comprenons évidemment que la Belgique ne peut pas décider seule de l'avenir de l'Europe, et qu'il n'est pas facile de trouver un consensus à quinze.
C'est précisément cette difficulté qui a poussé le gouvernement belge à faire de l'approfondissement de l'Union européenne une condition préalable à son élargissement, en demandant notamment une extension significative du vote à la majorité qualifiée.
Lors de leur congrès qui s'est tenu à Malmö, tous les partis socialistes européens ont accepté l'extension du vote à la majorité qualifiée sur les politiques sociales et sur l'harmonisation fiscale des politiques relatives à l'environnement.
M. Dehaene, Premier ministre. Les partis travaillistes aussi ?
M. Busquin (PS). Oui.
M. Dehaene, Premier ministre. Je verrai à l'autopsie.
M. Busquin (PS). Je vous communiquerai, monsieur le Premier ministre, la déclaration de Malmö. Vous pourrez constater qu'elle est, à cet égard, beaucoup plus explicite que celle du parti populaire européen.
Dans ces conditions, l'élargissement, que nous souhaitons tous, contribuera au renforcement de l'Union européenne et non à sa dilution. Mais, au vu des attentes exprimées un peu partout en Europe ces dernières semaines, il nous semble que les positions défendues avec conviction par le gouvernement belge trouvent un écho de plus en plus large. Une très nette majorité se dégage pour lancer les bases d'une politique européenne de l'emploi et pour renforcer la dimension sociale de la construction européenne. Ainsi, le chômage nécessite un traitement spécifique des pouvoirs publics à tous les niveaux, y compris européen.
Nous sommes convaincus qu'il est possible d'atteindre ces objectifs en conciliant le souci de modernité et la solidarité sociale qui caractérise le modèle européen.
Comme nos amis du parti des socialistes européens, nous sommes bien conscients que l'on ne peut pas faire du social sans une base économique solide. C'est pourquoi nous soutenons la politique d'assainissement des finances publiques. Nous voulons ainsi, nous appuyant sur la remarque que M. Jonckheer vient de formuler, montrer combien il est indispensable en Belgique, vu le niveau de notre dette, d'exploiter les éléments de relance qui existent et le Livre blanc de M. Delors le démontre en développant davantage les capacités d'emprunt au niveau européen. Nous voulons ainsi répondre aux évolutions rapides dans la sphère économique par des politiques appropriées, par exemple dans le domaine des télécommunications.
En sens inverse, nous devons aujourd'hui montrer, par des gestes concrets, que la rigueur budgétaire n'est pas une fin en soi et aussi que le développement technologique est profitable à tous. L'économie ne doit pas être vécue comme un carcan mais comme un outil au service de tous les citoyens. Tony Blair, dans son discours, insiste sur la notion de citoyenneté européenne. Je vous invite à lire ce discours et vous constaterez que des approches différentes peuvent induire un changement essentiel de la vision de l'Europe. Tony Blair est partisan d'une Europe des citoyens. Il se situe dans un débat beaucoup plus large, moins insulaire, que celui du précédent gouvernement conservateur. Sa conception de la modernisation et de la flexibilité du travail interpelle peut-être mais elle me paraît très positive et elle a en tout cas pour objectif, d'atteindre une citoyenneté plus responsable en Europe. Si nous voulons moderniser notre structure économique, ce n'est pas pour en faire profiter quelques privilégiés mais au contraire pour éviter que la solidarité sociale disparaisse dans un monde qui change.
Mais je ne vous cache pas mon inquiétude : si dans un futur proche très proche les responsables européens ne rencontrent pas les souhaits des citoyens en termes d'emploi et de protection sociale, l'hostilité que l'on sent monter envers la construction européenne pourrait se transformer en révolte.
Lors de notre congrès, nous avons mesuré que cent millions d'Européens ont fait un choix politique différent ces deux derniers mois, ce qui implique une nouvelle responsabilité pour l'Europe qui se doit dès lors d'être davantage sociale et de porter plus d'attention aux politiques de l'emploi. Pour arriver à ce développement, j'insisterai sur l'indispensable coordination des politiques économiques. Comment pourrait-on mener une politique de l'emploi et renforcer la dimension sociale sans inclure ces objectifs dans la politique économique ?
En outre, il serait particulièrement malsain de limiter le gouvernement économique de l'Europe à un gouvernement monétaire. Des taux d'inflation et des taux d'intérêt bas, un taux de change stabilisé, un déficit public maîtrisé, c'est bien, mais cela ne suffit pas à rendre l'espoir. Jacques Delors a d'ailleurs répété devant notre congrès une indication de mai 1968 : « Le P.N.B. n'apporte pas le bonheur. » C'est une condition nécessaire, mais insuffisante, pour donner un espoir et un avenir aux Européens de demain.
Or, l'article 103 du Traité européen permet déjà de coordonner étroitement les politiques économiques nationales, mais il n'a pas encore reçu l'ombre d'une application. Alors, d'accord pour appliquer le Traité de Maastricht, mais dans toutes ses dimensions.
Comme vous, nous souhaitons le succès de l'Union économique et monétaire à la date prévue. Mais d'autres dimensions doivent être ajoutées à la dimension monétaire, comme, par exemple, une politique fiscale favorable à l'emploi, à la protection de l'environnement et à la notion de service public. C'est aussi la position du gouvernement belge et nous la soutenons pleinement.
Monsieur le Premier ministre, très souvent, les positions de votre gouvernement rejoignent aussi les attentes des citoyens européens. Le contexte est donc favorable pour que le gouvernement belge insiste encore une fois sur ses priorités lors du Sommet d'Amsterdam.
Le gouvernement belge, je le répète, a été actif dans la préparation de la C.I.G. Il a montré ainsi qu'il avait du souffle social européen. Il n'est dès lors pas souhaitable qu'il perde ce souffle en acceptant une révision du Traité, sans ambition, ou une dillution de notre représentativité dans un élargissement non préparé par un approfondissement préalable. Il s'agit là, d'aspects sur lesquels nous resterons particulièrement vigilants. Je pense, bien entendu, à l'aspect institutionnel qui nous fournit encore un moyen d'action avant Amsterdam mais qui, par après, nous en donnera beaucoup moins.
Oui, monsieur le Premier ministre, quand il s'agira de prendre les décisions finales, vous serez seul avec vos collègues. Nous apprécierons votre action à la lumière de nos orientations. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Bribosia.
Mme Bribosia-Picard (PSC). Monsieur le président, je me joins à la demande d'explications de mon collègue M. Jonckheer sur la position du gouvernement belge à la veille du Conseil européen d'Amsterdam. Je me limiterai à quelques réflexions avant de m'étendre sur deux autres points.
Je déplore à nouveau que nos rangs soient si clairsemés au moment où nous tenons ce débat fondamental pour l'avenir de l'Europe et de notre pays, et que l'on ait inscrit à la même heure à l'agenda du Sénat une série de commissions très importantes il est vrai.
Ce qui nous importe à tous, monsieur le Premier ministre, c'est d'entendre vos réponses et d'avoir une idée précise de la façon dont la Belgique va se positionner au Conseil d'Amsterdam.
Je voudrais répéter que le droit d'asile ne peut souffrir d'exceptions et que la procédure envisagée à l'article F.a relève non seulement d'une procédure collective alors que l'asile est un droit individuel mais a également de faibles chances d'être mise en oeuvre jusqu'au bout. Ne soyons pas dupes.
Je voudrais également souligner le rôle limité de la Cour de justice et du Parlement européen dans des matières aussi importantes que l'asile, l'immigration et la libre circulation. Leurs interventions constituent une avancée par rapport à Maastricht, certes, mais j'attends de vous, monsieur le Premier ministre, que vous défendiez une communautarisation véritable en la matière, éventuellement avec une période transitoire.
Quant à l'accord social, si l'on n'établit pas la majorité qualifiée comme procédure normale, il ne faut pas espérer de grandes avancées en ce domaine, mais j'espère que le gouvernement belge y veillera.
Ne parlons pas des coopérations renforcées : tout le monde s'accorde à les trouver incontournables, mais si l'on doit les déclencher à l'unanimité, combien verront le jour ?
J'évoquerai deux autres sujets qui me tiennent à coeur. Le premier, c'est la politique étrangère et de sécurité commune, la P.E.S.C., dont on sait maintenant qu'il ne ressortira pas grand-chose de la C.I.G.
Lors de la quarante-troisième session de l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale, l'U.E.O., la semaine dernière, la résolution et le rapport de M. Antretter sur les propositions de l'Assemblée de l'U.E.O. pour la coopération européenne en matière de sécurité et de défense étaient à l'ordre du jour. Bien que le président de l'assemblée, Luis Maria de Puig, se soit prononcé clairement contre l'intégration de l'U.E.O. dans l'Union européenne, l'assemblée a néanmoins accepté toute une série d'amendements au nom du groupe fédéré des démocrates chrétiens et des démocrates européens démontrant, à l'évidence, une attitude plus volontariste. L'assemblée s'est notamment prononcée pour l'obligation d'adhérer à l'U.E.O., pour les pays concernés par les futurs élargissements.
À peine une semaine plus tard, à l'occasion de la Conférence des organes spécialisés en affaires communautaires, la C.O.S.A.C., qui s'est réunie les 9 et 10 juin à La Haye, la présidence néerlandaise a répondu qu'il n'en était pas question pour toute une série de raisons. N'est-ce pas incohérent, à partir du moment où le Traité de Maastricht et les textes consolidés de la présidence néerlandaise parlent de « l'intégration graduelle de l'U.E.O. dans l'Union » ? À ceux qui objectent qu'actuellement, tous les pays de l'Union européenne ne sont pas encore dans l'U.E.O., je réponds : raison de plus pour ne pas se créer de nouveaux problèmes avec les nouveaux adhérents. D'ailleurs, l'article G des textes consolidés prévoit que tous les États candidats à l'adhésion devront accepter d'entrer dans l'espace Schengen où tous les pays de l'Union européenne ne sont pas non plus présents actuellement.
De toute façon, tant qu'il n'y aura pas d'échéance fixe d'intégration comme pour l'Union économique et monétaire, il n'y aura pas d'intégration. Quelle position défend la Belgique ?
De même, je me pose de sérieuses questions quant à la viabilité de ce que le ministre des Affaires étrangères appelle le système triangulaire du processus de décision de la P.E.S.C. Il y aurait les grandes lignes politiques tracées à l'unanimité par le Conseil européen on parle de stratégies communes , l'exécution par le Conseil des ministres à la majorité qualifiée, et la possibilité pour les États d'invoquer des raisons de politique nationale importantes. Le Conseil des ministres pourrait alors renvoyer la question au Conseil européen.
Je vous interroge donc, monsieur le Premier ministre. Cette possibilité ne va-t-elle pas contribuer à bloquer le processus de décision ? La lourdeur du processus décisionnel est-elle compatible avec la rapidité dont il faut souvent faire preuve en politique étrangère ? Le concept de stratégie commune est-il clairement défini ? Je ne le pense pas.
Un autre domaine qui me préoccupe, vous le savez, monsieur le Premier ministre, c'est l'égalité des hommes et des femmes. Je vous rappelle que j'attends toujours de votre part une réponse concernant la proposition de compromis que je vous ai envoyée le 29 mai. Faute d'obtenir un nouvel article 6 avec effet direct et un chapitre nouveau sur l'égalité, ma proposition vise à dissocier, dans l'article 6A, les discriminations exercées en raison du sexe de celles exercées en fonction de situations de minorités ou de handicaps. Les femmes sont unanimes à dénoncer cet amalgame. Je me réfère à la conférence européenne qu'elles ont tenue dans cet hémicycle. Être femme n'est pas une discrimination en soi, que je sache, ou un handicap. Permettez-moi de vous rappeler que les femmes constituent la grosse moitié de la population, y compris dans tous les sous-groupes discriminés cités dans ce projet d'article 6A. Cela entraîne un second argument irréfutable : être femme a pour effet de dédoubler le handicap s'il y en a un. Je prends l'exemple des femmes immigrées : elles ont deux fois plus d'obstacles à surmonter dans cette situation parce qu'étant femmes.
Faute donc d'avoir un nouvel article 6 avec effet direct, je vous ai proposé, monsieur le Premier ministre, de scinder l'article 6A prévu en deux articles sans effet direct : l'un, concernant les discriminations en fonction du sexe, doté de la procédure de codécision et de la possibilité d'entreprendre des actions positives dans tous les domaines; l'autre, 6B, concernant les discriminations en tant que telles.
La scission de l'article 6A, monsieur le Premier ministre, ne vous coûterait pas très cher mais serait symboliquement très importante pour les femmes. N'oubliez pas qu'elles devront ratifier le traité !
Lors de la C.O.S.A.C., lundi, on a beaucoup parlé de transparence mais on en a eu fort peu.
N'ayant reçu de réponse qu'à une de mes trois questions, je vous pose celle-ci qui me paraît capitale : si les textes consolidés du Traité, présentés le 30 mai par la présidence néerlandaise, n'étaient pas complétés en ce qui concerne, notamment, le vote à la majorité qualifiée, le processus d'élargissement sera-t-il entamé dans six mois comme convenu ou retardé ? Devons-nous nous attendre à un Maastricht III ?
En résumé, monsieur le Premier ministre, je vous ai posé trois questions dont deux sur l'élargissement. Admettra-t-on, dans l'Union, des pays qui n'acceptent pas d'entrer dans l'U.E.O. ? Entamera-t-on le processus d'élargissement tant que « les textes consolidés ne sont pas complétés en ce qui concerne l'extension du vote à la majorité qualifiée, la nouvelle pondération des voix au sein du Conseil et la composition et l'organisation de la commission » ? Enfin, allez-vous défendre la scission de l'article 6A (Applaudissements.)
M. le président. La parole est au Premier ministre.
M. Dehaene , Premier ministre. Si j'ai accepté de répondre aujourd'hui à la demande d'explications de M. Jonckheer, c'est parce qu'il me paraît important, à l'avant-veille de la réunion d'Amsterdam, que nous puissions faire le point même si, d'emblée, je dois vous signaler que nous en sommes toujours au stade de la négociation et que nous ne pouvons préjuger, à l'heure actuelle, de l'issue de l'ensemble des travaux de la conférence.
Je remercie M. Jonckheer de l'appréciation qu'il a donnée sur l'information diffusée au Parlement; j'aurais souhaité une réaction plus active de ce dernier, puisque certaines réunions du Comité européen étaient fort confidentielles. Cette remarque m'évitera des reproches ultérieurs, car force m'est de constater que si une partie du Parlement « sommeillait » et se réveillera sans doute au lendemain du Sommet d'Amsterdam le gouvernement belge, quant à lui, agissait. D'abord, il a présenté suffisamment tôt la position qu'il comptait défendre. Ensuite, il entretient depuis deux ans déjà des contacts soutenus avec les pays du Benelux, parvenant ainsi à faire reprendre nos arguments dans le mémorandum Benelux.
Nous savions que la présidence serait néerlandaise au moment de la conférence et cela devait nous aider à faire passer nos desiderata. Nos avancées étaient fort proches et fort parallèles avec celles du Parlement européen. Je pense que cela n'est pas dû au hasard, puisque les pays du Benelux sont les trois pays fondateurs de l'Union européenne, partageant une conviction profonde de ce que doit être cette union. Cette position, on la retrouve de façon très nette parmi les parlementaires élus à cette fin.
Il faut bien se rendre compte du processus dans lequel nous nous trouvons, car nos débats dans cette enceinte, concernant la problématique belge, les réformes institutionnelles, etc. me font parfois penser aux congrès de mon parti ou du Davidsfonds, où nous négocions entre nous ce que devrait être la réforme de l'État : c'était parfait et cohérent, les structures étaient idéales. Mais lorsque nous allions négocier au Parlement ou avec d'autres partis, les différences des conceptions surgissaient. Quand nous présentions le compromis obtenu devant le Congrès, il était très difficile de faire comprendre que la distance entre les objectifs de départ et les conclusions provenait de conceptions différentes. Je suis d'autant plus à l'aise au Conseil européen qu'il s'agit pour moi du même genre d'exercice, avec la différence que le Congrès est le Parlement et que c'est au Conseil européen que je retrouve la négociation gouvernementale.
Je suis devenu assez philosophe en la matière. Les uns diront que le verre est à moitié vide et les autres, qu'il est à moitié plein. Personne ne pourra en tout cas le prétendre tout à fait vide. Pour le reste, c'est une question d'évaluation.
Par ailleurs, vous connaissez ma position par rapport à la dernière phase des réformes institutionnelles. Ces dernières constituent un processus dynamique nécessitant une adaptation régulière aux réalités. Ce principe s'applique encore davantage à la construction européenne. La Conférence intergouvernementale prévue lundi et mardi à Amsterdam n'est certainement pas la dernière... Certains parlent déjà de « Maastricht II » car les Pays-Bas sont pour la deuxième fois au coeur du processus. En réalité, nous avons participé à de très nombreuses conférences intergouvernementales depuis la création de la Communauté européenne puis de l'Union européenne.
La construction européenne se réalise étape par étape. Ceux qui y croient doivent avoir une conception claire et défendre leurs thèses. Je souligne à cet égard que le veto n'est pas un instrument efficace. En effet, l'utilisation du veto par ceux qui veulent progresser aboutit souvent aux résultats contraires. Il convient de tenir compte de ce que j'appellerais une dynamique d'institution.
Je puis souscrire à la plupart des considérations émises par Mme Bribosia, MM. Jonckheer et Busquin.
Vous avez clairement laissé sous-entendre, madame Bribosia, que les femmes n'approuveraient pas le traité si un article séparé concernant l'égalité entre hommes et femmes n'était pas inséré dans le texte.
J'ai bien compris le message, madame, mais si vous maintenez cette position, vous ne pourrez pas bénéficier de tous les progrès que nous avons obtenus. Il vous appartient de faire la part des choses.
Une évaluation correcte de la situation s'impose. Je serai également confronté à cet exercice difficile, de même que le Parlement. Un parlementaire averti en vaut deux.
Que pouvons-nous attendre de ce projet ? Il convient évidemment de tenir compte des résultats électoraux enregistrés dernièrement en Europe mais ceux-ci ne doivent pas trop peser sur le processus. En effet, à certains moments, il faut pouvoir conclure. Ces négociations impliquent une continuité à l'échelon de l'État. Comme je l'ai dit à plusieurs reprises lors de débats, ce sont principalement des conceptions européennes qui apparaissent au niveau de différents pays. Selon les majorités en place, les accents donnés à de telles conceptions peuvent varier, mais pas de manière fondamentale.
M. Busquin a évoqué la politique de l'emploi visée dans le Livre blanc de Jacques Delors. Dès le début, nous avons tenté de mettre en application les dispositions prévues dans ce cadre. À cet égard, nous avons eu pour alliés la France, l'Espagne et l'Italie, mais nous avons été opposés aux Pays-Bas, à l'Allemagne et aux pays nordiques, et ce quelles que soient les majorités en place de part et d'autre. En fait, il s'agissait d'une opposition entre pays octroyant des fonds et pays en bénéficiant. Certains éléments apparaissent au niveau des États membres qui vont bien au-delà des conceptions affichées par les partis politiques. Lors de la Conférence d'Amsterdam, je ferai état des résolutions décidées lors du congrès de Malmö, puisque M. Busquin m'en fera cadeau, et étant donné leur nombre, j'en ferai certainement meilleur usage en tout cas, je tâcherai que de celles du P.P.E., même si apparemment, de ce côté, les conclusions semblent évoluer de façon plus favorable que de l'autre.
M. Busquin (PS). Je n'ai pas parlé d'une adhésion au P.S.E.
M. Dehaene, Premier ministre. Dans certains pays, je serais certainement du côté des socialistes, et vous, du côté des démocrates-chrétiens, ce qui montre combien les choses sont relatives ! Vous avez dit qu'à Malmö, les socialistes avaient défendu l'idée d'un élargissement de la majorité qualifiée dans le chapitre social. Il est dommage que vous n'ayez pas pensé à me faire parvenir plus tôt le texte de ces résolutions. Apparemment, M. Blair était déjà parti lorsque celles-ci ont été votées. En effet, lorsque je l'ai rencontré à Londres, il m'a tenu un discours quelque peu différent. Ce document me sera donc certainement fort utile !
Je voudrais revenir sur un point qui a été évoqué par différents intervenants. Selon moi, les résultats d'une conférence intergouvernementale comme celle qui nous intéresse doivent être évalués par rapport aux thèses développées à son début et à la limite, par rapport à celles évoquées au moment de Maastricht. La tendance actuelle est de minimiser les acquis engrangés au cours de la négociation préparatoire et de se concentrer sur ce que l'on n'a pas encore obtenu. Je voudrais illuster mon propos. Nous avons été les premiers à défendre un chapitre « Emploi » dans le Traité et au début, nous étions les seuls. Par la suite, nous avons convaincu nos amis du Benelux et progressivement, nous avons été rejoints par les pays nordiques. Nous avons dû lutter contre un certain nombre de pays jugeant cette mesure superflue. Actuellement, tout le monde semble considérer naturel l'ajout d'un chapitre sur l'emploi, alors qu'il n'y a pas si longtemps, personne ne s'en souciait. Évidemment, ce nouveau chapitre ne suffira pas à resoudre le problème mais il constitue un progrès notable.
Par ailleurs, je souscris entièrement au but poursuivi par Mme Bribosia par rapport à l'U.E.O. dans l'Union. Quand la Suède, la Finlande et l'Autriche ont rejoint l'Union, personne n'imaginait que, sur proposition de ces pays neutres, nous inscririons un jour les actions Petersberg comme des missions de l'Union européene à exécuter par l'U.E.O. Ce nouvel exemple vous montre, qu'une fois encore, les difficultés passées sont oubliées et que tout le monde est tendu vers le prochain stade. C'est la raison pour laquelle j'insiste pour que nous procédions à une évaluation objective en considérant notre point de départ.
Quoi qu'il en soit, j'observe que des avancées importantes sont réalisées en matière d'approfondissement du premier pilier, notamment en ce qui concerne les droits sociaux et les droits fondamentaux, y compris en ce qui concerne l'égalité entre hommes et femmes. À cet égard, je me propose d'ailleurs d'adresser à Mme Bribosia une réponse détaillée à sa lettre relative à ce problème particulier.
Des pas importants sont accomplis dans le Traité en ce qui concerne les consommateurs, la santé et l'environnement. En outre, il conviendra d'être attentif au chapitre « Emploi » lors du Sommet d'Amsterdam.
Le chapitre social certes, monsieur Jonckheer, grâce à l'entrée de la Grande-Bretagne fera partie du Traité et matérialisera une autre avancée.
Il reste un objectif important à atteindre à propos de l'extension du vote à la majorité qualifiée. Nous fournirons bien sûr au Parlement un aperçu complet à l'issue des négociations relatives à ce problème délicat. Cependant, j'estime dès à présent qu'il ne faut pas sous-estimer l'élargissement de l'utilisation de la majorité qualifiée contenu dans le Traité. Sur ce point, nous devrons aussi veiller à maintenir l'acquis lors de la Conférence intergouvernementale. Nous souhaitons aller plus loin à propos du vote à la majorité qualifiée dans les matières sociales, fiscales et environnementales. Nous nous battrons en vue d'étendre la majorité qualifiée à tout ce qui est normatif en matière de droit du travail.
M. le président. Monsieur le Premier ministre, je vous propose d'interrompre un instant votre réponse.
M. Dehaene, Premier ministre. Certainement, monsieur le président.