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SÉANCE DU JEUDI 28 NOVEMBRE 1996 |
VERGADERING VAN DONDERDAG 28 NOVEMBER 1996 |
M. le Président. L'ordre du jour appelle la demande d'explications de M. Jonckheer au Premier ministre sur « l'approbation du pacte de stabilité budgétaire prévue au Conseil européen de Dublin ».
La parole est à M. Jonckheer.
M. Jonckheer (Écolo). Monsieur le Président, voici un mois, j'ai interrogé le ministre des Finances, M. Maystadt, en commission des Finances, sur le même sujet mais au moyen de questions différentes.
C'est à la suite des réponses du ministre des Finances que j'ai souhaité vous demander des explications, monsieur le Premier ministre, à la veille du Conseil européen de Dublin, où vous serez probablement appelé selon les informations dont je dispose ce n'est pas encore certain, mais vous nous informerez sans doute à ce sujet à donner votre approbation politique au pacte de stabilité budgétaire. Je parle d'approbation politique parce qu'en droit communautaire le Conseil européen, en tant que tel, n'a pas à approuver ou désapprouver un projet de règlement.
Mon intervention consistera en une triple critique à l'égard de ce pacte de stabilité, plus précisément au sujet de la première proposition de règlement communautaire, la seconde portant sur les sanctions à appliquer et n'entrant pas dans le cadre de mon propos.
Ma première critique porte sur le contenu même du pacte de stabilité, la deuxième sur sa forme juridique et la troisième sur l'absence de lien entre cette proposition de pacte de stabilité budgétaire et les négociations intergouvernementales dans le cadre de la CIG.
Ces critiques ne sont pas seulement académiques. Elles ont une portée politique indéniable puisque l'une des raisons qui m'ont poussé à vous interroger directement, monsieur le Premier ministre, est la suivante : selon les informations dont je dispose, une partie importante du mémorandum du Gouvernement fédéral risque de ne pas être rencontrée dans le cadre de cette conférence intergouvernementale.
J'en viens à ma première critique portant sur le contenu du pacte lui-même. Je rappellerai brièvement que le pacte s'inscrit dans le cadre du Traité de Maastricht. Les écologistes estiment qu'il convient, sur le plan de la politique macro-économique, de rééquilibrer ou de corriger un certain nombre de dispositions du Traité de Maastricht. Cela s'applique aux objectifs tels que définis à l'article 2 du Traité, car ces derniers s'additionnent pour le moment sans que l'on distingue clairement de hiérarchie entre eux.
Cela s'applique également aux procédures en matière de politique économique, telles que définies aux articles 103 et 109 du Traité, qui attribuent une très large place au Conseil des ministres mais laissent de côté le Parlement européen.
Enfin, la nécessité d'une correction porte sur la question des instruments en matière de politique économique. En effet, le Traité de Maastricht prévoit telle est sa portée strictement communautaire une monnaie unique et une politique monétaire centralisée. Par contre, il laisse totalement décentralisées les politiques en matière budgétaire et en matière de revenus. Chacun doit réduire son déficit public et maîtriser ses coûts de production à l'intérieur de son économie nationale. La coordination telle que prévue par le Traité se résume en fait à vérifier que le déficit public de chaque État approche du seuil des 3 p.c. en 1997.
J'ai rappelé diverses dispositions du Traité. J'ai indiqué leurs insuffisances au niveau de la définition des objectifs et, surtout, l'absence de hiérarchie entre ceux-ci. Sur le plan politique, il est probablement impossible de choisir une autre voie. J'ai également relevé une critique portant sur les procédures en matière de politique économique au niveau européen et j'ai plus particulièrement insisté sur le fait que le Parlement européen n'avait aucun rôle à cet égard, puisqu'il est à peine informé et consulté. Il n'a pas de capacité d'intervention puisqu'aucune procédure de codécision n'est mise en place dans le cadre de l'UEM.
Je voudrais à présent préciser la notion de rééquilibrage du Traité de Maastricht. Le fait n'est pas tellement que l'on puisse imaginer, au niveau européen, une politique keynésienne, c'est-à-dire un soutien explicite à la conjoncture du point de vue de la demande. Comme vous le savez, cette théorie ne compte plus énormément de partisans. Elle est surtout impraticable lorsque les États affichent des déficits publics importants. Par contre, un élément me paraît plus critiquable dans le Traité, à savoir l'absence de dimension de l'investissement public, non seulement en matière d'infrastructures, mais surtout, sur le plan immatériel. Je pense à la recherche et développement, à l'éducation et à la formation, à un certain nombre d'applications dites « précompétitives » telles que préconisées dans le Livre blanc de Jacques Delors, auquel vous vous référez souvent, monsieur le Premier ministre, en matière de réseaux transeuropéens, de recherche biotechnologique et d'environnement. Un rééquilibrage du Traité de Maastricht devrait prendre en considération la nécessité de tels investissements qui ont un effet sur les politiques économiques et, plus particulièrement, les politiques budgétaires.
Enfin, j'en viens à la troisième insuffisance relevée au niveau du Traité de Maastricht dans le cadre strict de la politique macro-économique. Le Traité ne prévoit pas de cadre d'appui suffisant pour orienter les politiques des acteurs publics et privés dans le sens « d'une harmonisation dans le progrès », pour reprendre l'expression utilisée dans l'article 117 sur les dispositions sociales. Ce cadre d'appui paraît très insuffisant, notamment en matière fiscale. Sur ces deux points, à savoir, d'une part, l'importance de la capacité d'action des acteurs publics dans les domaines indiqués ci-avant et, d'autre part, un cadre d'appui suffisant, notamment en matière d'harmonisation fiscale, le Gouvernement et les écologistes devraient être d'accord. En effet, c'est dans ce sens que j'ai compris le mémorandum que vous avez présenté au Parlement, voici quelques mois.
Après avoir précisé les points sur lesquels le Traité de Maastricht me paraissait déséquilibré en matière de politique économique, j'en viens à présent au pacte de stabilité budgétaire proprement dit. Ce pacte s'inscrit à l'intérieur du Traité de Maastricht; les bases juridiques proposées pour les règlements font évidemment référence aux articles actuels du Traité. Le projet de règlement dont je ne parle pas, celui qui concerne les sanctions, précise effectivement des sanctions qui ne figuraient pas dans le Traité et qui seront d'application une fois l'euro créé.
Le premier projet dont je parle précise, quant à lui, des procédures et baptise désormais « programmes de stabilité » ce que l'on appellait « programmes de convergence ». À la lecture du projet de règlement, on s'aperçoit que la véritable nouveauté réside dans le fait que celui-ci introduit, à la fois dans les considérants et dans un article, une valeur de référence budgétaire, soit une norme d'équilibre budgétaire, voire d'excédents, qui n'est pas prévue dans le Traité de Maastricht.
Sur ce point, je me permets d'attirer votre attention comme, je pense, vos collaborateurs l'auront fait. Par rapport à cet adage que vous utilisez souvent : « Tout Maastricht, rien que Maastricht », le projet de règlement communautaire prévoit une norme d'équilibre budgétaire à moyen terme qui ne figure pas dans le Traité de Maastricht. Je prétends donc que ce projet de règlement modifie, d'une certaine façon, le Traité. Pour cette raison, il me paraît évident qu'il existe un lien conceptuel et politique entre cette proposition de règlement et les discussions en cours au sein de la CIG.
Sur cette norme d'équilibre, monsieur le Premier ministre, M. Maystadt m'a donné des réponses qu'il a formulées essentiellement en se référant à la situation belge. Il considère que cette norme est une bonne chose, compte tenu de notre taux d'endettement extrêmement élévé. Toujours selon M. Maystadt, pour la législature actuelle, l'accord gouvernemental n'est en rien modifié puisqu'il y aura une décrue automatique du solde net à financer pour l'État belge. Cette réponse, pertitente pour la Belgique, ne me paraît pas généralisable sur le plan européen pour une raison assez simple : les taux d'endettement des principaux pays de l'économie européenne, qu'il s'agisse de la France, de l'Allemagne, de l'Espagne ou du Royaume-Uni, se situent en dessous des 60 p.c. du critère de Maastricht. Je ne pense donc pas qu'il soit correct de généraliser la situation belge au niveau européen.
Le deuxième argument de M. Maystadt, qu'il considère d'ailleurs comme le principal, consiste à dire que, si nous voulons redonner une marge de manoeuvre à la politique budgétaire, sur le plan national ou européen, il convient d'abord de revenir à une situation proche de l'équilibre, ce qui permettrait, en période de récession économique, de faire jouer ce que les économistes appellent les stabilisateurs automatiques, c'est-à-dire le gonflement automatique d'un certain nombre de dépenses de l'État.
Je n'entrerai pas ici dans les détails trop techniques mais, trouvant cet argument intéressant, j'ai consulté des experts en la matière. Certains me disent que l'on peut retrouver ce rôle de stabilisateur automatique dès que l'on a un déficit d'environ 1 p.c. ou 1,5 p.c. en moyenne européenne. Vous me direz peut-être qu'il est inutile de chicaner, et qu'entre zéro et un pour-cent, de toute façon une évolution interviendra à moyen terme. Mais ces chiffres étant peu évoqués, j'en ferai part au sein de cette assemblée : un pour-cent de PIB au niveau communautaire équivaut à 2 400 milliards de francs belges. Il est donc intéressant de savoir si, pour le Conseil des ministres des Finances et pour le Conseil européen, une position d'équilibre justifiable se situe à 1,5 p.c. de déficit en moyenne de cycle conjoncturel, ou à zéro pour-cent. Or, dans la proposition de règlement, il est question d'aller vers l'équilibre ou l'excédent.
J'en viens à une deuxième argumentation pour laquelle le ministre des Finances ne m'a pas donné de réponse. Lorsque le chiffre de 3 p.c. de déficit a été avancé, le ministre a été interrogé sur le choix de ce chiffre, la littérature courante en témoigne. À l'époque, la réponse consistait à dire que ce taux correspondait, en moyenne historique, au niveau d'investissements publics de la plupart des États membres. Ce n'est pas le cas de la Belgique où la politique de réduction du déficit public pèse lourdement sur ce genre de dépenses qui sont actuellement de l'ordre de 1,2 p.c. du PIB, la moyenne européenne étant de 2,5 p.c. Si l'on veut tendre vers l'équilibre, qu'advient-il des investissements publics au sens classique du terme, c'est-à-dire les investissements en infrastructure ? La réponse est claire : on ne supprimera pas les dépenses en infrastructure; elles devront donc être consenties au détriment d'un certain nombre de dépenses courantes ou de sécurité sociale dans les différents États membres.
Pour en terminer avec cette série de critiques de la norme d'équilibre en tant que telle, je dirai que les écologistes sont favorables à une discipline budgétaire, certainement dans le cadre belge. Quant au cadre européen, nous pensons qu'il est légitime, une fois l'euro créé, d'avoir des garanties que certains États membres ne mèneront pas une politique budgétaire trop laxiste. Nous sommes donc favorables à une discipline budgétaire mais nous nous opposons à une surenchère dans l'orthodoxie qui pénalise gravement les capacités des acteurs publics. À mon sens, c'est relativement dommageable.
Telles sont les critiques que je tenais à développer sur la norme d'équilibre budgétaire.
Je serai plus bref en ce qui concerne les deux autres volets annoncés dans mon introduction.
J'émettrai d'abord une critique de nature juridique. Je pense que tout le monde dans cette assemblée ce serait bien le moins estime que le choix des orientations de politiques budgétaires constitue un acte politique fondamental. C'est même, dit-on, l'acte principal des parlements. Dans les dispositions actuelles du Traité de Maastricht, les recommandations se font au travers de ce que l'on appelle les grandes orientations de politique économique, article 103 du Traité. Concrétement, cela signifie que la décision est effectivement aux mains du Conseil des ministres des Finances après un certain nombre de consultations et de procédures. Cela veut donc dire aussi que si des coalitions au pouvoir changent dans les différents États, les ministres des Finances peuvent changer aussi. Par conséquent, les grandes orientations des politiques économiques traduisent des choix idéologiques ou politiques différents ou qui peuvent varier au fil du temps. Cette procédure me paraît bonne mais je déplore une fois de plus le faible rôle du Parlement européen.
Cela dit, le pacte de stabilité budgétaire nous propose donc de figer les grandes orientations dans un règlement communautaire. Ce dernier est, dans l'ordre juridique de la Communauté, l'instrument le plus contraignant, directement applicable dans tous les États membres membres de l'euro, dans le cas présent et dans tous ses éléments.
On a donc opté pour l'acte juridique le plus fort, voté à la majorité qualifiée. Pour quelle raison choisir cet instrument juridique ? Et pourquoi ne pas se limiter à la procédure telle qu'elle est prévue actuellement ? La seule explication que l'on puisse trouver est à mon sens éminemment politique. Il s'agit de la méfiance qui règne entre les partenaires et qui fait que le gouvernement allemand et la Bundesbank exigent des autres États membres la codification de tous ces éléments dans un règlement communautaire afin de s'assurer qu'une fois l'euro instauré, des garanties en matière d'orientations budgétaires sont possibles.
Je trouve qu'il s'agit d'un dérapage dangereux et d'une mauvaise utilisation du règlement communautaire. Je peux comprendre qu'il existe un règlement communautaire sur les sanctions parce qu'il faut, sur ce point, compléter les dispositions prévues au Traité de Maastricht. J'estime néanmoins que, pour ce qui relève des orientations de politique économique, nous devons nous en tenir à la procédure prévue à l'article 103 du Traité. Elle me paraît en effet tout à fait suffisante et prévoit, j'y insiste, des dispositions permanentes. Les dispositions de l'article 103 n'ont pas un caractère provisoire comme celles prévues dans le cadre des phases transitoires préparatoires à la monnaie unique. Aux termes du Traité, elles valent aussi pour la période où la monnaie unique aura cours.
J'en viens à ma troisième critique du pacte de stabilité. Elle part d'une réflexion extrêmement simple : supposons que ce règlement communautaire soit adopté, nous aurions donc, au niveau européen, des dispositions budgétaires nationales.
Il est clair que nous sommes très éloignés de ce que l'on pourrait souhaiter en tant que fédéralistes, à savoir ce que les économistes appellent le fédéralisme budgétaire et sur ce point nous serons sans doute d'accord. Le fédéralisme budgétaire implique, en effet, un renforcement du budget de la communauté, une capacité d'emprunt pour la communauté en tant que telle et une coordination plus forte des politiques économiques nationales. Ce fédéralisme budgétaire n'est manifestement pas à l'ordre du jour compte tenu des divisions politiques que nous connaissons au sein de l'Europe. Par conséquent, nous devons nous rabattre sur ce que j'appellerai un second best . Quel est-il ?
Puisque nous parlons de politique budgétaire, nous n'évoquons pas seulement les dépenses mais nous envisageons aussi les recettes, et ce second best réside dans l'harmonisation de la fiscalité sur le plan européen. Le Premier ministre est favorable à cette harmonisation puisqu'il l'a inscrite dans son mémorandum. Je constate toutefois que le projet de règlement communautaire qu'il est amené à approuver politiquement ne comporte pas un seul mot sur la nécessité de cette harmonisation fiscale même pas dans les considérants. Par ailleurs, je remarque aussi que, dans le cadre actuel des négociations de la conférence intergouvernementale, tout laisse penser qu'il n'y aura pas d'accord au sein de la CIG en matière fiscale et notamment sur le point important du passage au vote à la majorité qualifiée. M. Maystadt ne m'a d'ailleurs pas détrompé à ce sujet en commission des Finances.
Nous sommes donc à nouveau dans une situation fort déséquilibrée qui nous contraint à adopter, sous la pression de nos amis allemands, un projet de règlement introduisant dans le Traité une nouvelle norme d'équilibre budgétaire alors que nous n'avons pas obtenu satisfaction en matière d'harmonisation fiscale.
Faut-il rappeler les arguments qui plaident en faveur d'une compétence communautaire dans ce domaine ? La lutte contre la fraude fiscale, la limitation de la compétition fiscale entre États, le rééquilibrage de la fiscalité afin de rendre le travail moins coûteux et l'introduction d'une taxe énergie CO2 sont des exemples.
Le document que le commissaire Monti a fait approuver par le dernier Conseil Ecofin contient beaucoup de suggestions. Il n'est cependant pas nouveau car il reprend des thèmes qui ont déjà été débattus il y a sept ou huit ans. Le commissaire réaffirme néanmoins avec force que, dans deux domaines en tout cas, la Commission européenne estime, tout en respectant le principe de subsidiarité, qu'une harmonisation fiscale sur le plan européen est nécessaire. L'harmonisation fiscale sur l'épargne constitue le premier objectif point 6.11 du document. La taxe énergie CO2 point 6.17 est également citée.
Pourquoi établir un lien politique entre le pacte de stabilité et les propositions du commissaire Monti ? Tout simplement pour ne pas répéter une histoire trop connue de vous notamment, monsieur le Premier ministre.
Après avoir accepté, en 1990, l'achèvement de la libéralisation totale des mouvements des capitaux sans harmonisation fiscale et après avoir accepté, toujours sans harmonisation fiscale, Maastricht qui crée une nouvelle contrainte pour les politiques budgétaires, nous nous apprêtons aujourd'hui à adopter une nouvelle norme budgétaire d'équilibre sans même attendre la conclusion des négociations en cours sur la réforme des Traités. À supposer que cette norme d'équilibre soit acceptée à la majorité qualifiée, ne doit-elle pas, à tout le moins, être couplée avec une avancée en matière fiscale ?
Dans la demande d'explications que je vous ai adressée, la thèse que je défends est déjà très minimaliste. Elle préconise un report de la décision sur le pacte de stabilité jusqu'au Conseil européen d'Amsterdam. Une vision d'ensemble des résultats de la CIG pourra alors être dégagée. Refuser cette proposition sous prétexte d'atteinte à la crédibilité de l'objectif de la monnaie unique revient à avouer que nous renonçons dès à présent à un volet important à mes yeux en tout cas du mémorandum que vous avez déposé.
J'écouterai votre réponse avec attention. Je pense qu'un débat centré sur l'Europe n'est pas seulement une discussion entre pays et nationalités dans le but de savoir ce que pensent nos amis anglais ou allemands. Nous savons que les clivages nationaux existent. Mais une discussion européenne implique également, et, à mes yeux, plus fondamentalement le débat entre deux visions. La première vision, que je qualifierai de néolibérale, considère que l'harmonisation fiscale n'est pas nécessaire. Certains représentants du VLD l'ont d'ailleurs répété en commission. La seconde vision est « régulationniste ». Tout en acceptant le marché unique et la monnaie unique, elle implique un renforcement des politiques d'encadrement du marché unique.
Je pense donc que nous disposons d'une opportunité nous permettant de faire comprendre à certains de nos partenaires que nous ne pouvons pas accepter continuellement de renforcer un des volets des politiques économiques européennes sans fortifier simultanément les politiques d'encadrement. (Applaudissements.)
M. le Président. La parole est à Mme Bribosia.
Mme Bribosia-Picard (PSC). Monsieur le Président, je me devais d'intervenir dans ce débat d'une importance capitale.
Tout d'abord, je pense qu'une nouvelle norme de stabilité à moyen terme imposant un programme pluriannuel de stabilité serait le garant du respect de l'orthodoxie budgétaire. Mais je pense aussi qu'il serait peut-être préférable que chaque État se gère selon ses besoins, sans toutefois dépasser la norme des 3 p.c. de déficit public afin de ne pas mettre en danger la politique monétaire européenne. Une norme de 0 p.c. pourrait être, tout au plus, recommandée en vue de souligner les avantages découlant du respect de cet équilibre budgétaire. Elle inciterait les États à continuer malgré tout leurs efforts et ainsi se dégager des marges de manoeuvre en cas de récession. À cet égard, il est très important de faire comprendre aux citoyens que l'assainissement des finances publiques est une nécessité absolue afin d'éviter le désastre pour les nouvelles générations. Un commissaire européen a déclaré de manière très pertinente que « les critères de Maastricht sont les meilleurs alliés de nos enfants ». Si nous voulons faire adhérer la population à notre projet européen, il est urgent de s'atteler à en démontrer le bien-fondé.
Je pense également que l'absence de règles et normes suffisamment convergentes en matière sociale, fiscale et environnementale conduirait à une concurrence entre États. À ce moment, le citoyen européen pourrait s'interroger sur son identité européenne. En effet, l'Europe économique et rien que l'Europe économique ferait naître un doute quant à l'utilité du renforcement de l'intégration, qui doit aussi être sociale.
Le pacte de stabilité n'a pas que des avantages ! J'aimerais que le Premier ministre donne son avis sur les interrogations que je formule à présent.
L'effort qu'il faudra continuer à fournir ne risque-t-il pas de provoquer une récession s'il devait se prolonger trop longtemps ?
Aucune harmonisation fiscale n'est prévue, ce qui devrait continuer à nourrir la concurrence fiscale entre les États membres de l'Union européenne. Or, pour répondre à une norme d'équilibre, il faudra sans doute augmenter les recettes. Dès lors, ne risque-t-on pas de faire porter les efforts sur les autres facteurs que le capital ? Je pense ici essentiellement au travail.
En cas de dépassement des 3 p.c., il y aurait une amende correspondant à un certain pourcentage du PIB. Cette amende impliquera donc un effort supplémentaire pour l'État endetté qui aura de ce fait plus de difficultés à revenir aux 3 p.c. Ne risque-t-on pas d'entrer dans un cercle vicieux ?
Ce déficit de 3 p.c. pourra être dépassé dans des cas exceptionnels. Quelle conception de cas exceptionnels le Gouvernement belge défend-il ?
Des efforts budgétaires soutenus riment avec investissements publics faibles. Or, ceux-ci sont essentiels pour l'entretien et l'extension de l'infrastructure existante qui, à son tour, conditionnera les investissements étrangers. Ne sommes-nous pas, là aussi, dans un cercle vicieux ?
Monsieur le Premier ministre, il faut répondre de toute urgence aux questions de la population si nous voulons, je le répète, obtenir son adhésion au projet européen nonobstant les efforts qui lui sont demandés.
M. le Président. La parole est au Premier ministre.
M. Dehaene, Premier ministre. Monsieur le Président, je ne puis que me réjouir de ce débat car, même si je ne partage pas toutes les craintes exprimées ici, nous devons effectivement être conscients du fait que le pacte de stabilité comporte un certain nombre d'éléments qui influenceront la politique des années à venir.
Pour ce qui concerne les éléments de fond de ce pacte de stabilité, le contexte macro-économique et les caractéristiques techniques du pacte, ainsi que la politique globale du Gouvernement belge en cette matière, je voudrais me référer à la réponse circonstanciée formulée par le ministre des Finances à la demande d'explications du sénateur Jonckheer sur le « Pacte européen de stabilité et les orientations budgétaires à moyen terme ».
Dans le cadre du présent exposé, je voudrais répondre en premier lieu aux questions d'ordre politique formulées dans la demande d'explications.
Permettez-moi de souligner au préalable que le pacte de stabilité budgétaire ne peut être dissocié de la nécessité de garantir la stabilité des cours du change au sein de l'Union européenne. Afin d'assurer le bon fonctionnement de l'Union monétaire et du marché intérieur, il faut dès lors prévoir un mécanisme de change qui règle les relations entre l'euro et les monnaies des pays qui ne feront pas immédiatement partie de l'Union monétaire. C'est ce que l'on appelle la relation entre les in et les out ou le système du serpent monétaire européen « bis ».
Ce nouveau mécanisme de change vise un double objectif. D'une part, il doit ouvrir la perspective d'une intégration rapide dans l'Union monétaire des pays qui n'y adhéreront pas dès la première phase. D'autre part, le mécanisme de change doit encourager la stabilité des cours du change au sein de l'Union européenne, notamment afin d'éviter que les dévaluations compétitives n'entravent le fonctionnement harmonieux du grand marché, voire les relations concurrentielles entre les différents États membres.
Le pacte de stabilité budgétaire comporte deux volets. Le premier volet définit les grandes orientations de la politique économique au sein de l'Union ainsi que le contrôle multilatéral sur cette politique économique. Le deuxième volet porte sur le dépassement des normes budgétaires ainsi que sur les procédures et sanctions prévues en cas de dépassement.
Le pacte de stabilité implique l'adoption de deux règlements. Eu égard à l'article 103 du Traité, le premier règlement aura pour objectif de préciser les lignes de force de la politique économique et d'établir des plans pluriannuels comprenant une description des mesures envisagées par chaque État membre pour atteindre ces objectifs. Le second règlement devra déterminer la procédure et les sanctions prévues en cas de déficits budgétaires excessifs, tels que le prévoit déjà l'article 104 du Traité. Ces règlements sont donc nécessaires pour assurer le fonctionnement pratique de l'Union monétaire et la mise en oeuvre de la politique budgétaire dans ce cadre. Ils s'inscrivent dans le processus récurrent selon lequel toute nouvelle étape de la construction européenne engendre la nécessité d'approfondir l'intégration. La réalisation de l'Union monétaire requiert en effet une meilleure coordination de la politique économique des États membres.
Cependant, ces règlements n'impliquent aucunement un quelconque choix en faveur d'une politique macro-économique à double norme zéro : 0 p.c. d'inflation et 0 p.c. de déficit budgétaire. L'objectif de la politique monétaire de la future Banque centrale européenne est la stabilité des prix, ce qui n'est pas synonyme de 0 p.c. d'inflation. Même la Bundesbank, qui est légalement tenue de veiller à la stabilité des prix en Allemagne, tend vers un faible taux d'inflation et non vers un équilibre absolu des prix. De plus, l'objectif d'un budget en équilibre à long terme ne signifie pas que l'actuelle norme de 3 p.c. serait remplacée par une nouvelle norme de 0 p.c. La meilleure indication à cet égard constitue le mécanisme de sanction mis au point dans le second règlement qui ne sort ses effets que lorsque le déficit budgétaire dépasse la norme de 3 p.c. L'équilibre budgétaire est dès lors une simple orientation globale et non un engagement normatif devant être réalisé à un moment spécifique.
Cela dit, je tiens à rappeler l'orientation retenue pour la politique budgétaire de la Belgique, à savoir la stabilisation du solde primaire pour l'entité I des pouvoirs publics. Compte tenu d'hypothèses normales en termes de croissance économique et de taux d'intérêt, ce principe aboutit automatiquement à une résorption continue du déficit de financement en deçà de 3 p.c., et ce à la suite de l'effet boule de neige « inversé ». Le Gouvernement belge a retenu cette orientation afin de modérer l'incidence des charges d'intérêt sur la dette publique et, partant, de dégager une marge pour répondre au défi démographique et aux nouveaux besoins de société. La stabilisation du solde primaire permet aux dépenses publiques de suivre la croissance de l'économie ou de dégager une marge pour une diminution de la pression fiscale et parafiscale. En termes politiques, cette stabilisation se traduit par une extension de la marge de manoeuvre pour la politique budgétaire, et ce contrairement aux années écoulées, où il fallait relever le solde primaire.
Lors de la discussion relative au pacte de stabilité, il ne me paraît pas opportun d'effectuer un lien entre un accord sur ce pacte et une convention relative à la coordination fiscale, tel que M. Jonckheer l'a évoqué. L'expérience du passé nous apprend que toute phase nouvelle dans le processus d'intégration européenne est l'aboutissement logique des phases antérieures. Il existe une sorte de logique cumulative d'une intégration de plus en plus poussée. La coordination fiscale sera la conséquence normale de la création de l'Union monétaire, à la suite des distorsions qui apparaîtront dès que l'Union monétaire sera une réalité.
L'Union monétaire est un projet politique par excellence qui démontrera que l'Union européenne assortie d'une monnaie unique ne peut fonctionner convenablement sans coordination en matière fiscale et sociale, tout comme le grand marché intérieur ne peut être pleinement réalisé sans monnaie unique. Si le temps n'est pas encore mûr pour une coordination fiscale approfondie, le processus de maturation est bel et bien en cours et l'Union monétaire ne fera qu'accélérer ce processus. Cependant, tous les aspects de l'union politique ne peuvent pas se réaliser en une seule fois, au risque de bloquer tout progrès.
Dès lors, je pense qu'il est capital de veiller maintenant à remplir les conditions nécessaires à la réalisation de l'Union monétaire. Nous n'avons jamais caché que nous considérions cette Union monétaire comme le moteur de l'intégration future. De plus, elle renforce l'impact des options européennes sur la politique intérieure que l'on peut et que l'on veut mener.
Je suis persuadé, par ailleurs, que les options économiques que notre pays prendra dans les années à venir n'auront un impact réel que si nous les inscrivons dans un cadre européen plus large.
L'Union monétaire est donc un facteur essentiel mais elle est dépourvue de sens en l'absence d'harmonisation des politiques économiques, en l'absence d'un pacte de stabilité assurant que cette coordination, cette convergence sera poursuivie à l'avenir.
Pour ce qui est du cas particulier de la Belgique, ce cadre nous obligera à remplir les conditions qui nous permettront de rencontrer les défis du siècle à venir, particulièrement le défi démographique. Cela nous imposera des choix importants dans les années futures, je ne le nie pas, mais je pense que le cadre dynamique de l'Union monétaire nous encouragera à suivre la voie des options nécessaires. (Applaudissements.)
M. le Président. La parole est à M. Jonckheer.
M. Jonckheer (Écolo). Monsieur le Président, je tiens à formuler deux observations.
En premier lieu, monsieur le Premier ministre, vous avez fait une déclaration importante lorsque vous avez dit que le projet de règlement ne contenait pas d'engagement normatif. J'en prends acte, mais je me permets de vous suggérer, ainsi qu'à votre ministre des Finances, de faire modifier en conséquence l'article 3, paragraphe 1er , du projet de règlement qui stipule : « Sur la base des évaluations effectuées par la Commission et par le comité institué à l'article 109c » le Comité économique et financier , « le Conseil détermine si, compte tenu des caractéristiques nationales spécifiques, l'objectif budgétaire à moyen terme fixé par le programme de stabilité consiste dans une situation proche de l'équilibre ou dans un excédent. »
Lorsque je lis ce texte, non pas dans les considérants, mais dans l'article même du projet de règlement, j'estime que si la thèse politique consiste à dire qu'il n'y a pas d'engagement normatif, il est préférable de modifier la rédaction dudit article. La phrase concernée pourrait être supprimée et l'on pourrait en revenir à l'idée que la Commission doit présenter des évaluations et que le Conseil doit estimer si les politiques budgétaires sont ou non convergentes. Il me semble inutile d'indiquer cette nouvelle norme d'équilibre budgétaire.
Ma deuxième réflexion porte sur la thèse que vous développez, monsieur le Premier ministre, au sujet du rôle moteur de l'Union monétaire. J'y crois également en partie. Il est vrai que la monnaie unique n'est pas seulement un instrument; dans les circonstances politiques actuelles, elle représente probablement le seul objectif fédérateur au sein de l'Union européenne des Quinze.
Cela dit, votre argument relatif à l'harmonisation fiscale plusieurs membres de votre parti tiennent le même raisonnement consiste à dire qu'il faut attendre que le premier cercle monétaire soit constitué et qu'après la mise en oeuvre de la monnaie unique, la pression en faveur de l'harmonisation sera plus forte. Je me permets toutefois d'en douter pour la raison suivante : en théorie économique, contrairement à ce que vous avez dit, ce n'est pas tellement la monnaie unique qui pousse à l'harmonisation, mais bien la libre circulation des capitaux.
À partir du moment où les mouvements de capitaux sont totalement libres, il est clair que l'harmonisation de la fiscalité est indispensable, sous peine d'assister à ce qui se passe pour le moment, à savoir une concurrence fiscale entre les États membres, ce que la Commission européenne reconnaît elle-même.
Je crains que nous nous trouvions à nouveau dans un jeu de dupes. En 1990, on a accepté la libéralisation totale des mouvements de capitaux et le ministre des Finances disait déjà à l'époque qu'une harmonisation fiscale était nécessaire. Nous sommes fin 1996; elle n'existe toujours pas et n'existera pas davantage en 1997 et 1998.
Vous dites que lorsque la monnaie unique sera effective, les conditions de l'harmonisation fiscale seront réunies. Cela ne me convainc pas.
Une autre thèse figure dans votre mémorandum : les choses vont tellement mal, au sens où les opinions sont tellement divisées, qu'il faut éviter toute interférence entre le processus de l'Union monétaire et la réforme des traités. Je puis comprendre ce point de vue. Cependant, en termes de calendrier, une interférence apparaît.
En effet, début 1998, le choix des pays sera décidé de même que, probablement, les taux de conversion entre monnaies nationales et l'euro. À ce moment-là, les États seront en principe dans la phase de ratification des résultats de la CIG. Par ailleurs, les pays qui organiseront un référendum sur la monnaie unique prendront certainement en considération le type de résultats qui se dégageront de la CIG. Donc, qu'on le veuille ou non, en termes de calendrier politique, cette interférence entre, d'une part, le processus de l'Union monétaire et, d'autre part, le processus de la CIG existe, et selon moi, elle justifie le lien que j'ai établi devant vous. (Applaudissements.)
M. le Président. L'incident est clos.
Het incident is gesloten.