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SÉANCE DU JEUDI 23 MAI 1996 |
VERGADERING VAN DONDERDAG 23 MEI 1996 |
Discussion générale
Algemene beraadslaging
M. le Président. Mesdames, messieurs, je suppose que l'assemblée sera d'accord pour joindre la discussion des projets de loi portant assentiment au Traité d'entente et de coopération entre le royaume de Belgique et la fédération de Russie, signé à Bruxelles le 8 décembre 1993 et portant assentiment à l'Accord de partenariat et de coopération établissant un partenariat entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la Fédération de Russie, d'autre part, aux annexes 1 à 10, aux protocoles 1 et 2 et à l'acte final, faits à Corfou le 24 juin 1994.
Ik stel de Senaat voor de wetsontwerpen houdende instemming met het Verdrag inzake verstandhouding en samenwerking tussen het koninkrijk België en de Russische Federatie, ondertekend te Brussel op 8 december 1993 en het wetsontwerp houdende instemming met de Overeenkomst inzake partnerschap en samenwerking waarbij een partnerschap tot stand wordt gebracht tussen de Europese Gemeenschappen en hun lidstaten, enerzijds, en de Russische Federatie, anderzijds, met de bijlagen 1 tot 10, met de protocollen 1 en 2 en met de slotakte, gedaan te Korfoe op 24 juni 1994 samen te bespreken. (Instemming.)
La discussion générale est ouverte.
De algemene beraadslaging is geopend.
La parole est au rapporteur.
M. Hatry (PRL-FDF), rapporteur. Monsieur le Président, les deux rapports concernant ces projets portent respectivement les références 1/272-2 et 1/262-2.
Le premier projet lie la fédération de Russie à l'Union européenne par un accord de partenariat et de coopération, le second concerne un accord d'entente et de coopération entre le royaume de Belgique et la fédération de Russie.
Vous aurez remarqué que le volume de ces deux rapports est sensiblement différent. Le premier contient en effet douze pages. Le second n'en comporte que trois. Cette différence montre à suffisance le transfert de souveraineté de la Belgique vers les institutions européennes qui s'est opéré au cours des quarante dernières années dans le domaine des relations internationales. Cela témoigne en outre réellement du fait que, malgré les faiblesses de la politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne, la PESC, nous menons une véritable action commune, qui a parfois hélas même trop souvent bien du mal à s'extérioriser. Des traités comme ceux que nous sommes en train de ratifier sont néanmoins la preuve que des progrès sont en cours, même si, à notre avis, ils sont encore parfois insuffisants.
Lors de la discussion des deux projets, le ministre a développé un exposé tout à fait circonstancié. Pour le traité passé entre l'Union européenne et la fédération de Russie, il s'est plus particulièrement attaché au cadre des relations politiques existant entre les deux entités.
Le ministre a également rappelé les éléments qui ont justifié, malgré les fortes réticences émises à l'époque, l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe. Vous vous souviendrez en effet que cette décision a été très controversée. Elle était néanmoins justifiée par la nécessité d'encadrer politiquement une Russie dont la stabilité future demeure incertaine.
Le ministre a également établi le bilan des aides accordées à la Russie. Il s'est plus particulièrement attardé sur les appuis financiers. Ces derniers n'ont cependant pas toujours l'ampleur que les journaux leur donnent. Une bonne partie de cette aide est en effet conditionnelle, la conditionnalité impliquant précisément que la Russie pose certains actes d'ordre économique, financier, social, démocratique, etc. Cette condition n'est pas toujours remplie au moment où les aides sont disponibles. Par conséquent, les chiffres réels sont très souvent inférieurs à ceux annoncés dans la presse. Ce pays a cependant bien besoin de soutien.
Enfin, dans le cadre de son exposé général sur la relation existant entre l'Union européenne et la Russie, le ministre a abordé le problème de la sécurité, qui est évidemment un de nos soucis majeurs.
Plusieurs questions ont été posées au cours de la discussion. La première d'entre elles concerne la propriété intellectuelle dont on sait très bien qu'elle était autrefois allégrement violée par l'URSS. Cette violation n'intervenait pas uniquement en ce qui concerne l'application des conventions quant au fond. En effet, après la reconnaissance des droits intellectuels, l'URSS rendait impossible le transfert des fonds correspondant aux droits que les auteurs avaient recueillis. Dès lors, les recettes des droits d'auteurs étaient obligatoirement dépensées dans une monnaie inconvertible le rouble qui allait se révéler largement surévaluée.
Le ministre a évoqué aussi le processus particulièrement long de la ratification dans notre pays, dû à la structure complexe de l'État belge. En effet, la plupart des traités concernent des matières touchant aux compétences de tous les différents échelons de pouvoir. Le grand traité liant l'Union européenne à la fédération de Russie contient des dispositions relevant des Régions ou des Communautés. En tout cas, il semble impossible que les traités se limitent aux seules matières fédérales.
Un autre problème concerne les importations jugées excessives par la Russie. Cette dernière est encore habilitée avant la ratification des traités à imposer des restrictions de type contingentaire ou douanier dans toute une série de domaines. Le nouveau traité permettra de réguler le phénomène et empêchera la répétition d'opérations restrictives unilatérales, comme celle qui s'est faite au détriment des vodkas produites en Belgique. Il faut savoir que notre pays, principal fournisseur de vodka en Russie après la Pologne, s'est vu imposer des restrictions financières frappant uniquement les importations de certaines provenances. Principalement les vodkas fabriquées dans les provinces d'Anvers et de Limbourg ont été, il y a quelques semaines, victimes de ce procédé.
L'organisation du secteur bancaire a également été abordée. Depuis le 1er janvier 1993, la matière est traitée dans le cadre de l'Union européenne, ce qui règle la question de la liberté d'accès.
Par ailleurs, la commission a examiné la question fondamentale de la sécurité nucléaire, tant au point de vue de la sécurité des installations civiles de production d'électricité tristement illustrée par l'accident de Tchernobyl qu'au point de vue du respect par la fédération de Russie des engagements internationaux pris par l'ex-URSS en matière de désarmement et de destruction des armes permettant autrefois l'overkill.
Le ministre a montré qu'un ensemble de réponses satisfaisantes a été apporté provisoirement à propos de ces deux problèmes, en dépit du coût extrêmement onéreux de la protection civile contre les risques générés par la production d'électricité, lequel contrarie les investissements à grande échelle qui, en dehors de la fermeture pure et simple, sont seuls susceptibles d'empêcher la répétition d'un autre accident. Tout comme les pays d'Europe centrale et orientale, la Russie est dans l'impossibilité, faute de capitaux disponibles pour les investissements de rechange, de supprimer son appareil actuel de production d'énergie nucléaire pour le remplacer par des centrales électriques thermiques classiques. Il convient également de prendre en considération le fait que ce type de centrale utilise des combustibles fossiles augmentant de manière sensible la teneur en CO2 de l'atmosphère. Il s'agit d'un véritable dilemme. Faut-il poursuivre dans la voie du nucléaire, relativement dangereuse là-bas, ou, au contraire, investir dans une production nécessitant le recours à l'énergie fossile, moins risquée en termes de sécurité, mais comportant des inconvénients écologiques majeurs ?
Le ministre a encore répondu à une série de questions relatives à l'assimilation de cet accord de partenariat et de coopération avec l'instauration d'une zone de libre échange, laquelle est actuellement hors de question. Nous n'ouvrons pas nos frontières de façon tout à fait libre aux produits originaires de Russie, pas plus que celle-ci ne le fait pour les nôtres.
Au cours des dernières négociations auxquelles a participé l'Union européenne, le large mandat généralement confié à la Commission européenne en termes de création de zones de libre échange a été contesté par les gouvernements de certains pays membres, qui ont notamment refusé l'organisation de telles zones avec l'Afrique du Sud et le Mexique, pour ne citer que deux des pays qui ont posé un problème au Conseil des ministres européen.
Il s'agit donc d'un simple accord dont l'évaluation, prévue en 1998, permettra de décider s'il est possible d'aller plus loin et d'envisager une ouverture aux échanges sur une échelle plus large.
Je voudrais, enfin, évoquer l'accord bilatéral ou Traité d'entente et de coopération entre le royaume de Belgique et la fédération de Russie, signé le 8 décembre 1993, quant au point relatif aux archives belges détenues à Moscou. Celles-ci présentent un intérêt majeur pour les historiens car toute l'histoire politique, en particulier du parti socialiste belge, entre les deux guerres mondiales, voire avant 1914, s'y retrouve. Pendant la guerre 1940-1945, les Allemands ont transporté ces archives à Berlin et, ensuite, les Russes les ont, à leur tour, emmenées à Moscou où il est donc nécessaire de se rendre pour parfaire sa connaissance du paysage politique belge entre les deux guerres...
Quoi qu'il en soit, il en va de ces archives comme du trésor de Priam de Troie : les Soviétiques ne veulent pas en restituer la moindre note mais, par contre, ils font preuve d'un libéralisme absolu en ce qui concerne la consultation de ces archives, par conséquent disponibles pour les membres de cette assemblée, leurs collaborateurs, les historiens, les scientifiques de nos universités, etc. Cette documentation est par ailleurs très abondante puisque, comme le ministre l'a signalé, le royaume de Belgique représente à lui seul 1 700 mètres d'archives...
Ces deux traités ont été ratifiés à l'unanimité par la commission des Affaires étrangères, neuf voix s'étant exprimées en faveur de leur adoption.
J'ai ainsi terminé mon rapport et voudrais maintenant formuler quelques commentaires à titre personnel.
Tout d'abord, nous nous trouvons à la veille d'une échéance extrêmement délicate pour l'avenir de la Russie et ses relations avec l'Union européenne. Le président sortant qui l'eût cru voici un ou deux ans ? est actuellement le porteur des espoirs de la démocratie et de l'Occident, ce qui peut paraître surprenant si l'on tient compte de la politique qu'il suit dans certains domaines. Je mets entre parenthèses la guerre civile menée contre les Tchétchènes ainsi que d'autres problèmes ayant contribué à désunir le président russe et les réformateurs qui constituaient la majorité du gouvernement et qui avaient entamé, à une vaste échelle, le processus d'ajustement et de transformation de l'économie.
À la lumière des sondages pratiqués à l'occasion de la campagne présidentielle et si l'on considère les trois candidats les mieux placés, l'Occident ne peut incontestablement souhaiter qu'une seule chose : que le mandat de l'actuel président soit renouvelé et que les deux candidats suivants ne réussissent pas à prendre le pouvoir. En effet, même s'il contient quelques propos rassurants pour l'Occident, en réalité le programme des candidats autres que M. Eltsine a une coloration très différente selon qu'il est présenté vis-à-vis de l'Occident ou à la population russe, comme en témoignent les interviews de certains réformateurs, notamment Anatoly Chubais qui fut un ministre actif, ou Grigori Javlinski.
Sur le plan politique, il s'agit donc d'une échéance extrêmement importante qui trouve d'ailleurs son reflet dans des initiatives récentes dont nous avons pu faire la lecture dans les journaux des 11 et 12 mai derniers.
Ainsi, on peut constater que la Russie s'efforce d'éviter l'adhésion d'un trop grand nombre de pays d'Europe centrale et orientale au partenariat pour la paix proposé par l'OTAN, pour ne pas parler de l'adhésion directe souhaitée par la plupart d'entre eux. Ainsi, la Slovaquie, qui connaît des difficultés politiques évidentes, reçoit-elle une offre d'alliance politique et militaire avec la République russe, son voisin lointain, puisque, indirectement, l'Ukraine est actuellement dans une situation comparable et intermédiaire. La Slovaquie se verra offrir un certain nombre d'avantages si elle renonce à participer à l'OTAN ainsi qu'au partenariat pour la paix offert par l'OTAN à certains pays qu'elle ne peut pas encore considérer comme susceptibles d'adhérer.
Inversement, pour l'Occident, la Russie pose un énorme problème de démocratie, de poursuite des réformes, d'organisation politique et de relations avec l'Europe centrale et orientale à la faveur de ces élections. Nous devons rester attentifs et il est heureux que ce traité ait été conclu car il nous permet en tout cas de témoigner que nous ne sommes pas indifférents à l'orientation politique qui se dessine en Russie.
Je voudrais aussi apporter quelques éléments de type économique qui montreront à quel point il est important pour l'Occident que la Russie soit aidée. Je pense que l'on n'est pas assez conscient à quel point l'économie russe et le niveau de vie des Russes se sont effondrés. À la lumière des données comparatives des pays d'Europe centrale et orientale, nous pouvons constater que la Pologne, par exemple, aura retrouvé en 1996 son PNB de 1989 et l'aura même légèrement dépassé puisqu'elle se situe à 105 p.c. La République tchèque a un PNB estimé pour 1996 à 93 ou 94 p.c. de ce qu'il était en 1989. L'Europe de l'Est, dans son ensemble, se situe à 90 p.c. et la Hongrie également. Certes, il est assez pénible pour ces pays de se retrouver en dessous de leur niveau de vie d'avant la révolution de 1989, mais cela reste dans des limites supportables, compte tenu de la disparition de l'activité industrielle, la seule recensée par rapport aux services, qui a caractérisé ces pays jusqu'au début de la période révolutionnaire de 1989 à aujourd'hui. Les chiffres que je viens de citer sont malheureusement sans proportion avec l'effondrement du niveau de vie dans l'ancienne URSS, tout au moins dans la mesure où cet effondrement est reflété par l'information quantitative et statistique dont nous disposons.
Lorsque nous considérons, par rapport à 1989, le produit national brut des pays, anciennement de l'URSS, les plus proches de l'Europe, la situation est tout à fait différente.
Ainsi, le PNB de l'Ukraine ne représente plus que 40 p.c. de ce qu'il était en 1989. Cet effondrement de 60 p.c. est principalement dû à la disparition quasi totale des relations économiques qui liaient entre elles les différentes républiques de l'ex-URSS.
Le PNB de la république de Bélarus ne représente plus que 50 p.c. de ce qu'il était dans le passé.
Le pays qui se comporte le mieux, ou plutôt le moins mal, est la fédération de Russie, qui atteindra, en 1996, 57 ou 58 p.c. de son PNB de 1989.
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant, dans l'espace économique russe tel qu'il est défini aujourd'hui, que des thèses extrémistes et brutales, de type communiste ou nationaliste, voient le jour.
Imaginez un instant ce que serait la réaction de notre pays si, dans le courant de cette année, le niveau de vie de la population avait baissé dans de telles proportions par rapport à 1989.
Je me suis permis de vous présenter ces quelques chiffres parce qu'ils soulignent à quel point il est important que l'on retrouve dans ces pays un niveau de vie acceptable, un espoir social, un progrès économique. Si ce n'est pas le cas, ils risquent de tomber aux mains d'extrémistes dangereux qui, ayant à leur disposition les armes que l'on connaît, peuvent recourir à des opérations visant à détourner l'opinion publique vers un adversaire extérieur, ce qui constitue un pari extrêmement dangereux.
On constate cependant qu'à l'heure actuelle, un frein est mis à ces échos franchement négatifs. La chute du niveau de vie semble enrayée.
En 1995, le nombre de chômeurs était sans commune mesure avec celui des pays occidentaux. La Russie comptait cette année-là environ 8 p.c. de chômeurs, ce qui semble peu, mais il faut savoir que l'indemnisation du chômage est très faible, le recensement en souffrant.
En 1995 également, des investissements occidentaux ont été réalisés en Russie à concurrence de 5,2 milliards de dollars, ce qui montre qu'un effort a été accompli dans le domaine du développement d'activités nouvelles.
Quant à l'inflation, qui atteignait à un moment donné des milliers de pour-cent, elle ne se situe plus, si je puis dire, qu'à 131 p.c. par an, ce qui reste malgré tout un chiffre tout à fait excessif. Toutefois, en 1995, la production industrielle n'a plus baissé que de 3 p.c. En d'autres termes, nous sommes probablement arrivés à une situation extrême, qui ne peut que s'améliorer à l'avenir. Il nous reste à espérer que cette projection se réalise.
Voilà, monsieur le Président, quelques considérations supplémentaires en ce qui concerne ce problème de la Russie, qui est tout à fait actuel. Nous voyons avec beaucoup de réticences ces énormes difficultés qui se posent en matière de démocratie, de niveau de vie, de croissance ou encore de décroissance économique, mais il est clair que les deux traités qui nous sont soumis pour ratification constitueront un cadre efficace pour qu'à l'avenir, les choses aillent mieux que durant ces dernières années. (Applaudissements.)