1-75 | 1-75 |
Sénat de Belgique |
Belgische Senaat |
Annales des réunions publiques de commission |
Handelingen van de openbare commissievergaderingen |
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES |
COMMISSIE VOOR DE BUITENLANDSE AANGELEGENHEDEN |
SÉANCE DU MERCREDI 18 DÉCEMBRE 1996 |
VERGADERING VAN WOENSDAG 18 DECEMBER 1996 |
M. le Président. L'ordre du jour appelle la demande d'explications de Mme Bribosia au ministre des Affaires étrangères sur « le rôle du Parlement fédéral dans la Conférence intergouvernementale et le rôle des parlements nationaux dans le processus décisionnel européen ».
La parole est à Mme Bribosia.
Mme Bribosia-Picard (PSC). Monsieur le Président, comme l'indique le titre de ma demande d'explications, je voudrais aborder aujourd'hui deux thèmes, le premier étant le rôle de notre Parlement fédéral durant la CIG, la Conférence intergouvernementale.
En fait, je me suis décidée à introduire cette demande d'explications lorsque, comme sans doute les autres membres du Comité d'avis fédéral chargé des questions européennes, j'ai reçu à la mi-novembre quatre documents relatifs aux contributions de la Belgique aux négociations de la Conférence intergouvernementale. Je vous remercie d'ailleurs de nous avoir envoyé ces documents. Cependant, la plupart de ces contributions, notamment celles sur l'emploi, le service universel, l'environnement et la procédure budgétaire ont été rédigées avant le mois de septembre. La première contribution, celle relative à l'emploi, a même été transmise au secrétaire général du Conseil de l'Union européenne en date du 15 juillet, soit quatre mois avant de l'envoyer aux membres du Parlement. Autre fait significatif, je n'ai reçu qu'aujourd'hui, 18 décembre, le projet irlandais de révision des traités qui date du 5 décembre et que nous nous étions, bien sûr, tous procuré, chacun de notre côté. Ce document est donc arrivé officiellement aujourd'hui, en même temps que toute une série d'autres contributions de la Belgique et du Benelux portant sur l'égalité entre les hommes et les femmes, la santé publique, la justice, les affaires intérieures, la protection des consommateurs, etc. J'en viens même à me demander si mon insistance et ma demande d'explications n'y étaient pas pour quelque chose.
Monsieur le ministre, comprenons-nous bien, nous ne doutons pas de la bonne volonté du Gouvernement qui est acquis au principe de la transparence. Cependant, la mise en pratique pose des problèmes. Bien sûr, la CIG est une négociation entre gouvernements. Toutefois, les parlements nationaux devront approuver les traités révisés, et ce n'est pas chose acquise. Même en Belgique, il n'y a plus de large consensus au niveau des parlementaires. De plus, on ne peut continuer à élaborer l'Europe sans les citoyens, lesquels deviennent d'ailleurs de plus en plus méfiants. Lorsque les parlementaires ont été sollicités pour la campagne de sensibilisation à l'Europe, j'ai répondu que j'étais prête à m'engager personnellement. C'est pourquoi, plus que jamais, il faut une interaction dynamique entre le Gouvernement et le Parlement.
J'en arrive à mes questions. D'autres contributions existent-elles ou sont-elles en préparation, notamment sur les coopérations renforcées ? Les parlementaires ne pourraient-ils pas les recevoir au fur et à mesure de leur dépôt et non par lot ? Que reste-t-il de ces notes après avoir été soumises à la négociation ? Que suggérez-vous pour permettre aux parlementaires d'avoir accès le plus rapidement possible aux documents de négociation afin d'être tenus au courant de l'état des travaux ? Je voudrais citer un exemple précis : la semaine dernière, nous avons posé des questions au Premier ministre concernant l'introduction dans le traité du principe d'égalité entre les femmes et les hommes. M. Franklin Dehousse nous a dit à ce moment-là que la Belgique avait introduit une proposition. J'ai découvert dans les documents reçus aujourd'hui qu'il s'agissait d'un nouvel article 130; et je regrette de ne pas en avoir eu connaissance plus tôt car cela nous aurait permis d'en parler plus longuement. D'ailleurs, cette remarque vaut également pour une série d'autres articles.
En ce qui concerne les réunions entre le Gouvernement et le Comité d'avis fédéral concernant la CIG, il existe bien des auditions à caractère général mais ne serait-il pas utile, monsieur le ministre, d'organiser de temps à autre des réunions sur un thème bien particulier, au moment où la discussion sur celui-ci atteint une phase critique, se heurte à un blocage ou à une controverse ou, encore, revêt une importance particulière pour la Belgique ? Par exemple, le Premier ministre a été très laconique lors de l'échange de vues avant la réunion à Dublin sur la question de la composition de la Commission. Il a déclaré qu'il existait certainement d'autres idées plus intéressantes que celles qu'il avait entendues au comité d'avis... Il serait intéressant de les connaître, mais il n'a pas dit de quelles idées il parlait. Nous aimerions pouvoir en discuter.
J'aimerais savoir également ce que pense le ministre des réunions systématiques avant et après les réunions ministérielles sur la CIG et les conseils européens. Je me réjouis de ce que ce principe semble acquis depuis quelque temps. Certes, nous sommes informés, ce qui est déjà bien. Cependant pouvons-nous espérer que le ministre tienne compte du débat parlementaire quand il se retrouve dans le vif de la discussion ?
J'aborde maintenant la seconde partie de ma demande d'explications qui concerne le rôle des parlements nationaux dans le processus décisionnel européen en général. Le Gouvernement considère qu'il s'agit plus d'une question d'organisation interne dans chaque État membre et je suis assez encline à le suivre. Il semble d'ailleurs se dégager de la CIG en cours un consensus pour renforcer le rôle des parlements dans cette optique.
Dublin a estimé que le projet de révision des traités était une bonne base pour les négociations, sans entrer dans le vif du sujet. Mais quand on parcourt le document de la présidence irlandaise, on constate qu'il aborde le problème des parlements nationaux avec la proposition d'intégrer un protocole, notamment pour souligner le souci apparent de mieux informer les parlements nationaux, mais aussi de faire jouer éventuellement un rôle plus actif à la COSAC. On ignore toutefois si ces propositions ont une chance d'aboutir.
En Belgique, le Gouvernement est tenu de fournir des informations sur les propositions d'actes normatifs de la Commission européenne. Le comité d'avis expérimente pour l'instant une procédure de contrôle parlementaire du processus de décision. Ce contrôle exige toutefois également la collaboration et l'intérêt de toutes les commissions permanentes qui devraient être saisies de l'un ou l'autre problème les concernant directement. Ces commissions sont, en effet, plus compétentes pour en discuter que le Comité d'avis fédéral chargé de questions européennes.
Enfin, pour ce qui est de l'état des travaux de la CIG concernant les parlements nationaux, je voudrais savoir si un accord se dessine déjà sur le renforcement du rôle des parlements nationaux, par exemple par l'envoi systématique des livres de la Commission, des informations préalables aux réunions du Conseil, le délai entre les propositions de la Commission et les décisions du Conseil ou, encore, l'audition de commissaires devant les parlements nationaux, etc. Quel est le point de vue du Gouvernement belge sur chacune de ces propositions ?
M. le Président. La parole est à M. Derycke, ministre.
M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. Monsieur le Président, la demande d'explications de Mme Bribosia est à la fois importante et hautement politique. Le dialogue entre le Gouvernement et le Parlement est fondamental dans le cadre de la négociation de la modification des traités qui doit ouvrir une perspective aussi ambitieuse que celle d'assurer que l'Union européenne puisse relever lesdits défis majeurs auxquels elle est confrontée. Le premier défi est d'ordre macro-économique, puisqu'il s'agit de maintenir à l'Union européenne une place dans un espace politique et économique mondialisé. Le deuxième est l'ouverture à des pays qui, après des décennies de pratique d'un régime politiquement oppressif et inefficace, cherchent une nouvelle stabilité en adhérant à l'Union européenne. Le troisième consiste à garantir aux citoyens des quinze États membres que, dans ce nouveau contexte, la marche vers les objectifs de développement et de croissance durable, d'amélioration du bien-être et du progrès social, de liberté, de sécurité et de justice, sur lesquels est fondé l'Union européenne, pourra être poursuivie avec confiance et succès. Ce sont là les trois tâches les plus importantes définies dans notre document.
Le Gouvernement avait pris l'initiative de se présenter devant le Parlement avec une note de politique générale au sujet de la Conférence intergouvernementale de Turin, bien avant que celle-ci ne s'ouvre, à la fin du mois de mars dernier. Le Gouvernement avait soumis à l'approbation du Parlement les différents points de l'option politique, et tant la Chambre que le Sénat avaient marqué leur accord. Depuis lors, le Premier ministre et moi-même avons eu de multiples occasions de tenir le Parlement informé de l'évolution des négociations lors des innombrables questions, des interpellations et des demandes d'explications. Lors de ces travaux, nous avons eu l'occasion d'entendre des réflexions qui nous ont paru très intéressantes. Il va de soi qu'au cours des mois à venir, ces échanges de vues devront être poursuivis, voire intensifiés, si le Parlement le souhaite. En effet, comme vous l'avez souligné, madame, c'est bien le Parlement qui devra approuver les textes au moyen d'un vote.
Je suis évidemment à la disposition du Parlement et, particulièrement, du Comité fédéral chargé d'avis des questions européennes pour des échanges de vues sur l'évolution des travaux de la Conférence intergouvernementale. J'ajoute toutefois que l'existence de ce comité d'avis complique quelque peu la communication au sein du Parlement. En effet, les membres du comité d'avis ne sont pas les seuls parlementaires à s'intéresser à la question, la plupart manifestant un intérêt de plus en plus vif et la discussion devenant de plus en plus politique. Il est clair que le Parlement belge n'est pas disposé à accepter n'importe quoi.
Les parlementaires tiennent compte de l'avis de la population sur le Traité, mais celui-ci n'est malheureusement pas toujours positif. Le moment est venu d'informer complètement les citoyens car après le Sommet de Dublin, où les billets de l'euro ont été présentés, les choses sont devenues beaucoup plus concrètes. Il est bon que les parlementaires soient disposés à coopérer avec nous dans le cadre de cette information.
Le Premier ministre et moi-même avons toujours dit que dès que les billets seraient devenus une réalité, la population directement concernée serait intéressée.
En raison d'éventuelles contraintes d'agenda, il ne me sera sans doute pas toujours possible, madame, de répondre personnellement à votre invitation. Si un échange d'informations était nécessaire, je pourrais cependant déléguer l'un de mes représentants et je crois que le professeur Dehousse, qui est un homme de qualité, pourra partiellement prendre en charge les explications que vous souhaitez.
Le processus de la Conférence intergouvernementale est toujours en évolution et en voie de définition. À cet égard, je suis particulièrement heureux de l'initiative prise avec l'accord du Parlement.
Nous disposons d'une excellente équipe qui est parfaitement à la hauteur des délégations des autres nations. Bien que la Belgique soit un petit pays, son influence au Benelux et au sein de la Conférence intergouvernementale est importante. Comme nous produisons les textes, nous menons les débats car nous en maîtrisons parfaitement le contenu.
La tenue d'une réunion du Conseil européen constitue évidemment une occasion privilégiée, mais non la seule, pour faire le point à cet égard. Je me réjouis dès lors qu'étant donné la nouvelle phase dans laquelle la conférence s'engage, à raison du Sommet de Dublin, et au moment où débute la présidence néerlandaise, il ait été possible la semaine dernière et le soit encore aujourd'hui d'apprécier la situation.
C'est dans cette perspective que le cadre général pour un projet de révision des traités soumis par la présidence a été remis au Parlement. Je regrette toutefois que la transmission de ce projet n'ait pu avoir lieu en temps utile pour permettre au comité d'avis d'en disposer avant la réunion du 11 décembre dernier. Le texte nous est parvenu la veille de la réunion et nos collaborateurs ont dû l'analyser le jeudi soir afin de pouvoir formuler des commentaires le vendredi matin au Conseil des ministres.
Cela étant, il ne faut se méprendre, ni sur le document ni sur ce que le Conseil européen de Dublin vient d'en dire. Il s'agit d'une sorte de « testament » de la présidence irlandaise, rédigé sous sa seule responsabilité, et qui constituera une bonne base pour la suite des travaux. Comme le précise le Conseil européen, les délégations dont la Belgique ont la possibilité de défendre leurs propres propositions et de faire valoir leurs préoccupations dans les négociations à venir.
Ce document est intéressant. Il va largement dans le sens souhaité par la Belgique, mais il n'est pas encore admis par tout le monde, notamment en ce qui concerne ses points les plus délicats, comme l'approfondissement du premier pilier. Il s'agit d'un document utile, sur lequel nous pouvons travailler, mais d'autres propositions peuvent être formulées.
La Belgique estime qu'il n'y a pas lieu de modifier à ce stade le document de Dublin. La France a en effet essayé de mettre ses propres points importants en évidence, tout en tentant de nous faire admettre, avant le Conseil européen d'Amsterdam, que nous les avions approuvés.
La Belgique a toujours considéré qu'elle ne devait pas dévoiler ses cartes avant de connaître la position de chacun. Si nous n'adoptions pas cette attitude, les Allemands, les Français ou d'autres pourraient s'emparer de nos propositions et nous serions démunis de tout atout lors du Conseil européen d'Amsterdam. Ce genre de réaction est très néfaste pour les petits pays.
Malgré la lettre franco-allemande, les propositions françaises n'ont pas été prises en considération aussi bien en ce qui concerne les deuxième et troisième piliers que les problèmes institutionnels. Il était pour nous totalement impossible de commencer à discuter de ces derniers si nous n'étions pas certains de retrouver dans les textes des éléments importants pour la Belgique, au sujet de l'approfondissement du premier pilier par exemple. Il en est de même pour les Pays-Bas et le grand-duché de Luxembourg.
Le texte initial a donc été retenu et il constitue, comme je l'ai dit, une base de travail.
Le Conseil européen a également déclaré qu'il était important de clôturer la Conférence à Amsterdam; en fait, elle n'entre que progressivement dans la phase de négociation proprement dite.
Au printemps, en mars ou avril, le Gouvernement devra s'atteler à informer au maximum le Parlement. Il conviendra de tenir compte des sensibilités qui s'exprimeront au sein de ce dernier et de définir les limites qu'il pourra accepter.
Afin de permettre au Parlement d'apprécier la façon dont le Gouvernement entend aborder cette nouvelle phase, il était utile et nécessaire de l'informer, par le biais du comité d'avis, de la contribution belge à la conférence. Certains éléments ont déjà permis d'alimenter substantiellement le débat, chaque fois que la présidence irlandaise a estimé opportun de développer le sujet dans le cadre du rapport établi, à la demande du Conseil européen de Florence, en préparation au Sommet de Dublin.
Je pense particulièrement aux propositions relatives à l'emploi. Comme vous l'avez indiqué, ce texte est, à 90 p.c., le résultat du travail entrepris depuis six mois par la Belgique. De même, en matière de franchissement des frontières extérieures, de politique d'immigration et d'asile ainsi que de coopération policière et judiciaire, la Belgique a fait preuve de fermeté dans ses propositions, qui revêtent une grande importance.
À cet égard et à titre d'exemple, la comparaison entre le document de la présidence, les propositions du président Chirac et du chancelier Kohl et les propositions belges relatives aux matières actuellement couvertes par le troisième pilier, montre tout le pouvoir d'impact de l'approche belge qui, là comme ailleurs, se veut délibérément ambitieuse. À ce stade de la CIG, c'est un fait encourageant.
Nos efforts ont donc eu un certain résultat dans le cadre du document irlandais. Il reste à voir si notre contribution en matière de troisième pilier, c'est-à-dire en matière d'immigration, de visas, de drogues, de lutte contre l'abus d'enfants, etc., sera acceptée par les autres parties et figurera dans les documents qui seront adoptés à Amsterdam.
D'autres propositions, notamment celles formulées en vue d'accompagner les efforts d'approfondissement du marché intérieur et la réalisation de l'Union monétaire n'ont pas encore été réellement discutées. Elles ne font encore que l'objet de mentions, sous forme de brefs commentaires ou références, démontrant bien qu'elles sont « sur la table » et devront être traitées dans les mois, voire les semaines à venir.
Ces matières sont complexes et délicates. Je pense notamment à la différenciation, et plus particulièrement dans le cadre de l'approfondissement du marché intérieur. Cet élément permettra peut-être d'éviter un éventuel échec de la Conférence d'Amsterdam, mais les États membres doivent débattre cette question entre eux. En effet, le Portugal, l'Espagne et d'autres États du sud de l'Europe ne sont pas d'accord avec notre conception de l'approfondissement. Ils estiment que nous nous montrons trop rapides en la matière. Nous avons évidemment les moyens de le faire. En outre, nos politiques sont beaucoup plus propices que les leurs à l'approfondissement du premier pilier. Ils reprochent aux anciens États membres de l'Europe des Six de comploter entre eux, de manière à les tenir écartés du débat, mais ils savent que nous avons besoin de leur accord.
Les problèmes à cet égard ne se posent donc pas uniquement avec les Anglais mais avec d'autres également. Je pense par exemple aux Danois qui évoquent souvent la prétendue obstination des Anglais pour masquer leurs propres réticences. Ce point entraîne également quelques discussions au sein même du Benelux. Les Pays-Bas, notamment, ne sont pas encore entièrement convaincus de l'intérêt de la différenciation, notamment dans le premier pilier. Ils disent être ouverts à la discussion, mais ces problèmes sont très délicats politiquement et juridiquement. Nous disposons déjà de nombreux textes sur la différenciation, des comptes ont été bien définis par Franklin Dehousse, et ce de manière très ingénieuse. Mais l'ingéniosité intellectuelle ne suffit pas, il faut aussi la volonté politique. Il faut que les Pays-Bas aient la volonté politique de débattre de la différenciation, tout comme le Benelux. Cette problématique est complexe et nous avons dû convaincre nos deux partenaires de discuter.
Je ne vais pas m'étendre sur le débat relatif aux problèmes institutionnels que nous devrons mener préalablement avec nos partenaires les plus proches, tel que le Luxembourg, avant de pouvoir aborder ces problèmes dans la conférence. Cela s'avère extrêmement difficile car cette discussion est redoutée. Notre Parlement est aussi très attentif à ce débat. Quels sont nos souhaits pour ce qui concerne notre nombre de voix, nos commissaires ? Quelles sont nos solutions ? Même au sein de notre Parlement, ces points sont complexes.
Je ne vais pas non plus entrer dans le détail des discussions menées avec nos régions et communautés qui nous ont transmis par ailleurs de nombreuses propositions d'amendements au Traité. Nous savons d'ores et déjà que certains de ces textes ne suscitent pas beaucoup d'enthousiasme chez nos partenaires et feront l'objet de discussions difficiles. L'Allemagne, de plus, considère notre structure faite de régions et de communautés comme très complexe. C'est la réalité ! Et les parlementaires belges sous-estiment l'ampleur du problème : nous sommes au nombre de quinze et il faut l'approbation des Quinze pour entamer une négociation. En outre, s'ajoutent toutes les difficultés d'ordre politique.
Pour notre part, nous sommes prêts à informer le Parlement, à y présenter nos textes et nos solutions, mais il faut savoir que pour les faire admettre, nous aurons parfois beaucoup de peine. Il s'agit d'une dynamique qui, selon moi, doit être contrôlée par le Parlement, c'est très clair. On ne peut certes garantir que les propositions belges recueilleront le succès sur tous les points. On ne peut davantage s'attendre à ce qu'en fin de parcours, les propositions belges soient approuvées par tous les partenaires. Une CIG se négocie à quinze et le résultat doit être ratifié par les quinze pour entrer en vigueur. Des compromis sont donc nécessaires.
Au cours des mois à venir, il va de soi que le Gouvernement veillera à ce que le Parlement reçoive, dans les meilleurs délais, toutes les informations et les documents utiles pour qu'il puisse suivre l'évolution du processus. On y veillera, en particulier, lorsqu'il s'agira de modifications ou de compléments substantiels au projet soumis par la présidence irlandaise et transmis en l'état à la future présidence néerlandaise.
Les possibilités et conditions selon lesquelles les parlements nationaux pourraient être associés à la construction européenne constituent un des points qu'il a été convenu d'évoquer dans le cadre de la CIG. Comme vous le savez, cette problématique participe du souci général d'assurer la légitimité démocratique du processus d'intégration européenne.
Il ressort de la note de politique générale adressée au Parlement, qu'en abordant cette question, le Gouvernement entend bien se garder d'entrer dans une logique qui pourrait faire opérer un recul à la construction institutionnelle communautaire en substituant au rôle qu'exercent déjà les députés élus siégeant au sein du Parlement européen, celui d'une institution ou d'un organe collectif nouveau émanant des parlements nationaux. Sur ce point aussi, le débat s'avère donc délicat.
Pour la délégation belge, comme pour la grande majorité des autres délégations, le rôle du Parlement européen doit être non seulement maintenu mais aussi renforcé, dans le cadre de l'équilibre entre les institutions communes. En revanche, cette même délégation soutient que les parlements nationaux ont un rôle éminent à remplir, à savoir influencer et contrôler la position prise par leurs représentants nationaux respectifs au sein du Conseil. À ce titre, elle s'est prononcée en faveur du renforcement de la déclaration nº 13 de l'Acte final de Maastricht, qui est d'ailleurs à la base des dispositions régissant dans notre pays l'information des assemblées parlementaires à propos du travail législatif européen. Les modalités d'un tel renforcement sont encore à préciser mais dans cette perspective, il m'est déjà possible d'indiquer qu'il sera tout particulièrement tenu compte des orientations dégagées au sein de la COSAC.
C'est ainsi que l'on s'oriente vers plus de clarté, voire de contraintes juridiques, en transformant la déclaration en protocole de manière à répondre à la nécessité de mettre les informations utiles à la disposition des parlementaires nationaux dans les meilleurs délais pour qu'ils effectuent leur mission de contrôle politique à l'égard des représentants nationaux au sein du Conseil. Il s'agit des propositions d'actes législatifs proprement dits, comme les directives ou règlements, mais aussi des livres verts ou livres blancs qui ont pour but de susciter un débat de société préalable au dépôt des propositions juridiques. Il conviendrait de préciser si un délai est à prévoir entre la transmission de tels documents et leur inscription pour décision à l'ordre du jour du Conseil. À cet égard, je note que, sauf décision d'extrême urgence, il s'écoule toujours des mois voire des années avant le dépôt de la proposition et la décision du Conseil. Il va par ailleurs de soi que les membres du Gouvernement sont à la disposition du Parlement et du comité d'avis pour évoquer la portée des propositions faites et qu'ils tiendront compte des observations formulées dans le cadre des échanges, comme ils le font dès à présent.
Je crois que dans tout ce débat du contrôle et de l'implication des parlements nationaux au niveau européen, il faut être prudent. Il est très clair que parfois, les parlements nationaux veulent « renationaliser » la politique dite européenne et que le réflexe intergouvernemental est de bon ton. Il est clair aussi que certains membres du parlement français et d'autres assemblées d'ailleurs par exemple des parlementaires anglais voudraient même placer le processus décisionnel de l'Europe totalement sous tutelle. On irait alors vers l'intergouvernementalisme et il ne s'agit pas là de la voie choisie par la Belgique. Donc, je pense que notre modèle est un des meilleurs et nous essayons de le vendre, notamment au Parlement, par le biais entre autres du comité d'avis qui a une influence sur la politique du Parlement européen et qui informe le Gouvernement belge. Mais cela s'avère peu satisfaisant pour l'assemblée nationale française ou pour le Bundestag où rien n'a encore débuté. Il existe d'autres méthodes, par exemple, la méthode danoise. Chaque fois qu'un ministre danois veut agir sur le plan européen, il doit d'abord en référer à son parlement, ce qui rend les procédures très lourdes dans la pratique.
M. le Président. Vous avez donc beaucoup de chance, monsieur le ministre. (Sourires.)
M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. Oui et j'essaie de défendre notre méthode sans quoi le processus devient impraticable. C'est pour cette raison que j'ai fait allusion au problème danois.
Mme Bribosia-Picard (PSC). Nous en sommes là !
M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. Je ne sais pas car je pense que notre débat est positif. Par ailleurs, je crois que le Gouvernement belge sait parfaitement bien ce que le Parlement souhaite. Dans la pratique, il est néanmoins impossible de faire accompagner le processus décisionnel par des textes qui devraient en effet être successivement examinés par la Chambre et le Sénat. Par ailleurs, de nombreuses matières font également partie des compétences des régions et des communautés. Nous essayons de discuter nos textes avant de les présenter à nos partenaires. Chacun travaille selon sa propre méthode.
Je vous ai décrit l'évolution. Il est donc clair que les futures lois se révèleront essentielles.
Je souhaiterais à présent dresser une brève évaluation de la réunion qui s'est tenue à Dublin. Ce Conseil, dont on a peu parlé, revêt néanmoins une grande importance politique. Selon moi, l'accord sur le pacte de stabilité constitue un pas décisif vers l'Union monétaire. Les billets existent. L'euro a un visage. Le citoyen va donc pouvoir discuter de cette monnaie et de toutes ses conséquences.
L'apport belge et luxembourgeois a été considérable dans la conclusion du pacte de stabilité. MM. Maystadt et Juncker ont accompli un travail énorme. Notre sens du compromis a, cette fois encore, été admirable. Il a permis de passer un accord honorable se situant entre la rigueur monétaire, qui est importante pour la stabilité et la force de l'euro, et une marge d'appréciation politique qui tienne compte des sensibilités de certaines économies et de budgets victimes de phénomènes conjoncturels, cet accord permettant ainsi d'éviter que l'euro soit un symbole d'austérité.
Vous savez que, selon les souhaits de l'Europe, notre politique budgétaire doit tendre vers l'équilibre. Cette volonté politique n'est pas des moindres. Le dépassement des 3 p.c. entraîne la mise en oeuvre d'un système d'amendes. Ce système est très sévère. D'autres le sont moins. Une exception peut être accordée à l'issue d'une délibération politique lorsque le déficit budgétaire est provoqué par des causes naturelles ou par une chute inattendue du produit intérieur brut d'au moins 2 p.c., quoiqu'une récession de moins de 2 p.c. pourrait, sous certaines conditions, également être invoquée mais avec une base minimale de 0,75 p.c.
Bien que fort ingénieux, ce système sera néanmoins une source de soucis pour les différents gouvernements. Notre crédibilité nécessitait cependant la conclusion d'un tel pacte de stabilité. Le cadre légal existe pour l'euro ainsi que pour les in et les out qui ne sont pas directement membres de l'Union monétaire. M. Parson, actuel Premier ministre et ancien ministre des Finances de la Suède, a insisté pour l'établissement d'un système comparatif pour les out . En effet, si les out créent des distorsions fiscales, nous serons confrontés à de graves difficultés.
Le système est donc à la fois très ingénieux et très sévère. Les gouvernements et les parlements devront y être scrupuleusement attentifs. Je rappelle que les amendes sont de l'ordre de 0,2 p.c. Adapté à notre produit intérieur brut, ce pourcentage représente une très grosse somme. Le système préconisé est donc lourd pour la Belgique. Le pacte de stabilité limitera d'ailleurs les marges d'action des futurs gouvernements.
Il est dès lors important d'avoir une politique active en matière d'emploi et de l'approfondissement du premier pilier. La stratégie d'Essen a été confirmée. Maintenant, il faut agir et restructurer le marché en termes de fiscalité et d'emploi. À cet égard, je signale un élément belge nouveau : l'introduction de l'emploi dans les débats, intervenu il y a six mois, vient d'être suivie par celle de l'élément fiscal. Nos partenaires n'ont pas manifesté beaucoup de bonne volonté. Le débat reste ouvert et il est utile, car la fiscalité, le marché et l'emploi sont des facteurs qui doivent être liés. Il faut avoir une idée précise de l'interaction. Nous avons prôné la thèse selon laquelle il s'imposait d'éviter de créer un environnement fiscal dommageable pour l'emploi. Je pense que cette idée tout à fait nouvelle fera son chemin. Attirer les Anglais, leur faire accepter le pacte social et introduire ce dernier dans le Traité sont des démarches insuffisantes pour éviter les distorsions sociales. Les Anglais abusent actuellement de la situation. La compétitivité fiscale, qui devrait décroître, aura des répercussions sur notre système social et sur l'emploi.
L'introduction de l'aspect fiscal et la volonté d'une politique fiscale cohérente sont donc des éléments importants. Cela est néanmoins très dangereux et très peu apprécié par bon nombre de nos partenaires. Nous avons néanmoins tenté de réaliser le souhait du Parlement. J'espère que nous aboutirons. La volonté existe en tout cas. Nos partenaires ayant avalé la pilule, il nous reste à espérer qu'ils la digéreront.
Je vous remettrai le texte adopté à Dublin et qui concerne l'emploi. Je me suis longuement expliqué sur la Conférence intergouvernementale. De plus, dans les conclusions de Dublin un très bon texte a été rédigé à propos des matières relevant de la Justice et de l'Intérieur. Un travail excellent a été réalisé en très peu de temps sur ces sujets. Ce sont malheureusement nos propres difficultés juridiques qui en ont montré la nécessité, en tout cas partiellement. Les problèmes belges ont donné le signal à tous les pays européens qui ont compris que leurs problèmes étaient identiques. Voilà un texte très fort et consistant sur l'abus sexuel des enfants, la collaboration juridique, la drogue, ce qui est prometteur par rapport au troisième pilier.
Au niveau de la procédure, un problème se pose sur le point de savoir si ces matières doivent continuer à faire partie du troisième pilier ou si elles doivent être transférées dans le premier pilier, être totalement communautarisées et faire l'objet de décisions prises non pas à l'unanimité mais à la majorité. Cette question sera examinée.
Selon moi, de larges avancées se manifestent sur le plan des idées et de la volonté politique.
La volonté d'entamer la procédure d'élargissement six mois après la clôture des travaux d'Amsterdam a de nouveau été confirmée. De larges débats ont également eu lieu à propos de la Russie, du Moyen-Orient, mais aussi de la région des Grands Lacs, question sur laquelle nous avons pratiquement été les seuls à mettre l'accent. Nous avons cependant été suivis en la matière : une nouvelle aide a été acceptée en faveur des réfugiés du Rwanda et l'action commune en faveur du Zaïre a été approuvée. Les fonds nécessaires en vue des élections sont disponibles. Dès lors, nous ne pouvons pas nous plaindre.
Voilà, monsieur le Président, les informations les plus importantes que je souhaitais apporter quant à l'évolution actuelle de la situation.
M. le Président. La parole est à Mme Bribosia.
Mme Bribosia-Picard (PSC). Monsieur le Président, je remercie le ministre de ses explications sur la Conférence intergouvernementale et le rôle de la Belgique à ce niveau.
Cependant, je renouvelle ma demande en ce qui concerne les informations relatives aux contributions de la Belgique, et ce dans des délais raisonnables pas après quatre mois afin que nous ne soyons pas complètement dépassés par les événements.
Je me réjouis du rôle important que la Belgique joue en la matière, et je vous en félicite, monsieur le ministre.
M. le Président . L'incident est clos.
Het incident is gesloten.