2-575/2 | 2-575/2 |
11 MARS 2002
(Déclaration du pouvoir législatif,
voir le « Moniteur belge » n º 88
du 5 mai 1999)
Article unique
Supprimer l'article unique.
Justification
De nombreuses objections ont été formulées tant par la section législation du Conseil d'État en son avis du 25 avril 2000 que par les différents experts consultés lors des auditions. Elles peuvent être résumées de la façon suivante :
1. La réforme pose des problèmes de constitutionnalité
1. L'article 142, alinéa 2, 3º, de la Constitution ne prévoit pas l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage au regard des traités internationaux : elle prévoit uniquement un contrôle par rapport aux articles de la Constitution. Le Conseil d'État souligne que l'extension de compétence opérée par l'insertion d'un article 32bis dans la Constitution qui intègre les droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme excède l'habilitation que l'article 142, alinéa 2, 3º, de la Constitution donne au législateur spécial.
2. De plus, comme l'a souligné le procureur général émérite J. Velu, l'extension de compétence prévue par l'article 32bis en projet est assortie d'une limitation de la compétence des cours et tribunaux, des juridictions administratives et disciplinaires. Ceux-ci se verront désormais obligés de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage lorsque le litige en cause porte sur la compatibilité d'une norme législative par rapport à l'article 32bis en projet. Cette obligation porte atteinte au principe général de droit constitutionnel en vertu duquel les juridictions judiciaires et administratives ont le pouvoir et même le devoir d'écarter l'application des actes législatifs qu'elles jugent incompatibles avec les normes directement applicables des traités internationaux principe reconnu par l'arrêt Franco-Suisse Le Ski rendu par la Cour de Cassation en 1971 (1).
3. Enfin, il semble évident qu'à l'avenir, une modification, un ajout, voire une suppression d'un article de la Convention européenne des droits de l'homme entraînera une révision implicite de la Constitution, contraire aux principes contenus dans l'article 195 de la Constitution. Toute ratification ultérieure d'un nouveau protocole supposerait ainsi un nouveau vote sur l'article 32bis.
2. La réforme est trop limitée
Il y a lieu de se demander pourquoi limiter seulement au Titre II l'extension des compétences de la Cour d'arbitrage. Il aurait été plus opportun d'étendre le contrôle de constitutionnalité des lois par la Cour d'arbitrage à l'ensemble des articles de la Constitution. Cela aurait transformé la Cour d'arbitrage en une Cour constitutionnelle à part entière et aurait permis aux citoyens de défendre l'ensemble des droits dont ils jouissent directement ou indirectement en vertu de la Constitution.
3. La réforme est problématique (2)
1. L'insertion d'un article 32bis au Titre II de la Constitution comporte un double risque :
· d'une part, le risque d'engendrer de graves confusions quant au contenu des concepts selon qu'ils proviennent de la Constitution ou de la Convention européenne des droits de l'homme et de poser de sérieux problèmes d'imprécision : quelle disposition doit prévaloir puisque les mêmes mots ne désignent pas toujours les mêmes réalités, que l'intensité de protection diffère d'un ordre juridique à un autre, ... ?
· d'autre part, le ralentissement du rythme auquel les violations de la Convention européenne des droits de l'homme seront sanctionnées, dès lors qu'il faudra passer par la Cour d'arbitrage pour écarter une loi contraire à la Convention.
2. Se pose également la question des effets des arrêts de la Cour d'arbitrage estimant qu'il n'y pas de violation de la Convention européenne des droits de l'homme appliquée au travers de l'article 32bis. Si ces arrêts ont une autorité pour les autres juridictions, on risque d'assister à une méconnaissance par ces juridictions de la Convention européenne des droits de l'homme dès lors que la Cour d'arbitrage adopterait une interprétation des droits consacrés par la CEDH plus restrictive que celle de la Cour de Strasbourg.
3. Cette réforme est partiellement contraire au droit communautaire :
La Convention européenne des droits de l'homme est incorporée dans le Traité de l'Union article 6.2 : « L'Union respecte les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la CEDH ... » Or la Cour de justice des Communautés européennes étant compétente pour interpréter le Traité de l'Union, elle est aussi compétente pour interpréter la Convention européenne des droits de l'homme. Sa jurisprudence relative à l'effet direct du droit communautaire en ce compris la Convention européenne des droits de l'homme qui y est incorporée s'applique également pour l'interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme.
Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes que le détour, pour l'application du droit communautaire (y compris la Convention européenne des droits de l'homme), par une Cour constitutionnelle est contraire au principe d'effectivité du droit communautaire (arrêt Simmenthal).
Par conséquent, le projet de loi est contraire au droit communautaire en ce qu'il impose un détour par la Cour d'arbitrage.
Michel BARBEAUX. |
(1) Cet arrêt précise : « Quand un conflit existe entre une norme de droit international conventionnel ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne et une norme de droit interne, la règle établie par le traité doit prévaloir ».
(2) Notons que l'article 32bis en projet ne vise que la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles additionnels. Il y a dès lors un risque de voir se multiplier des interprétations différentes sur les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et sur d'autres types de dispositions internationales telles, par exemple, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Notons également que la localisation de l'article 32bis au sein du titre II de la Constitution intitulé « Des Belges et de leurs droits » pose question puisque les droits et libertés contenus dans la Convention européenne des droits de l'homme bénéficient à toute personne nationale, étrangère et apatride sans aucune exception, contrairement à l'article 191 de la Constitution.