3-351/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

22 JUIN 2004


Migrants et développement : forces d'avenir


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE PAR M. JEAN CORNIL


I. INTRODUCTION

Au début de la session 2003-2004, la commission des Relations extérieures et de la Défense a décidé d'organiser un débat thématique sur le problème des migrations et du développement, en vue de formuler des recommandations.

À cet effet, une série d'auditions de personnes intéressées du secteur et de responsables politiques a été organisée (1).

La commission a consacré au total huit réunions à ce débat thématique, entre novembre 2003 et juin 2004.

Le 26 novembre 2003, la commission a entendu Mme Danielle del Marmol, coordinateur pour la mondialisation et la politique de l'immigration auprès du service public fédéral Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement.

Le 4 février 2004, M. Brunson McKinley, directeur général de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) est venu exposer la philosophie et la pratique de son organisation.

Le 9 mars 2004, un certain nombre de personnes intéressées du secteur, dont Mme Cécile Sacré pour le Centre national de coopération au développement (CNCD), M. Lelo Matandu de l'ASBL FERAD et Mme Torres de l'ASBL Le Monde selon les Femmes, ont été invitées.

Le 23 mars 2004, M. Patrick Dewael, vice-premier ministre et ministre de l'Intérieur a été entendu sur les composantes de ses compétences touchant aux migrations.

Le 18 mai 2004, la commission a entendu M. Anton Van Assche, qui est venu exposer sa vision du problème au nom de l'Overlegcentrum Integratie van Vluchtelingen (OCIV).

Enfin, M. Marc Verwilghen, ministre de la Coopération au développement, a exposé, le 15 juin 2004, la ligne politique de son département concernant cette problématique.

Outre les auditions, des réunions du travail intermédiaires ont été organisées.

Sur la base de ces réunions et auditions, le rapporteur a rédigé un projet de recommandations. Ce projet a été discuté par les membres au cours des réunions des 18 mai et 1er juin 2004.

Les recommandations amendées ont été adoptées le 22 juin 2004 par la commission.

II. CADRE INTRODUCTIF DES RECOMMANDATIONS « MIGRATION ET DEVELOPPEMENT »

II.1. Contexte

De par son histoire, la Belgique est un pays où les migrations ont contribué à son développement économique et social et ont renforcé son dynamisme culturel et politique.

Aujourd'hui, l'identité belge repose sur la variété et la diversité de ses différentes composantes. Parmi ces dernières figurent les personnes issues des migrations originaires des pays en développement.

Au-delà de la diversité de l'histoire des migrations force est de reconnaître que la contribution des personnes issues de l'immigration au développement de la Belgique mais aussi des pays d'origine n'est que trop peu reconnue tant par les institutions que par la société civile belge.

Les organisations de solidarité issues des migrations ont une histoire ancienne dans les pays de résidence. Après avoir centré leurs actions dans la solidarité et l'insertion des nouveaux arrivés, elles ont parallèlement ou consécutivement initié des actions en faveur des communautés restées au pays d'origine. Malgré la variété des modes de structuration et la diversité des actions des organisations issues des migrations, leurs pratiques et leurs expériences dans le champ du développement et de la solidarité internationale représentent une mine inestimable de compétences, bien souvent mobilisées bénévolement. De plus, les organisations issues des migrations sont porteuses d'une approche où le global et le local sont en constante interaction.

Au moment où les politiques de Migrations sont, enfin, entrées dans l'agenda des gouvernements, de différentes organisations internationales (Organisation internationale pour les migrations, Organisation des Nations unies, Bureau international du travail, Banque mondiale ...) et d'organisations intergouvernementales (Union européenne, ASEAN ...), les organisations de solidarité issues des migrations sont des acteurs incontournables pour leur définition et leur mise en ouvre. Les transferts financiers, les échanges de compétences et de savoir-faire, les liens multiformes noués entre pays de résidence, d'origine et de transit sont les premiers fondements de la légitimité des organisations de solidarité issues des migrations. Bien au-delà des ces premiers motifs, la médiation ­ trait commun et caractéristique des organisations issues des migrations ­ entre sociétés d'origine et société d'accueil est un atout complémentaire à la réussite de la mise en oeuvre de ces politiques de migrations et de développement.

Au moment où la Commission européenne affirme que « la coopération avec les pays d'origine et les pays de résidence des immigrés doit être fondée sur un dialogue avec les gouvernements ainsi qu'avec les immigrés eux-mêmes et leurs associations, si l'on veut s'assurer de la prise en compte des mouvements migratoires dans les stratégies économiques, sociales et de développement des pays concernés » (2), les organisations de solidarité issues des migrations veulent effectivement pleinement jouer leur rôle.

Malgré les avancées enregistrées en Belgique, force est de reconnaître que les politiques actuelles d'immigration, d'intégration et de lutte contre les discriminations, et de développement sont loin de garantir aux organisations de solidarité internationale issues des migrations un cadre légal, politique mais aussi économique et social leur permettant de remplir pleinement et parfaitement ce rôle.

Au regard de la transversalité intrinsèque aux politiques de Migrations et de développement, il est indispensable, aujourd'hui, de mettre en cohérence les politiques d'immigration, d'intégration et de lutte contre les discriminations, et de développement. Cette transversalité est inhérente à la citoyenneté, élément moteur et fondamental d'un développement humain, durable et harmonieux entre les sociétés humaines.

II.2. Bref historique de la prise en compte du thème migration et Développement dans la Coopération au Développement en Belgique

Le 28 janvier 1999, le Centre national de coopération au développement (CNCD), en partenariat avec Solidarité socialiste (SOLSOC), organise une rencontre avec les ONGD et les associations de migrants. Cette journée de réflexions et de travail, intitulée Les communautés immigrées, actrices de développement Nord/Sud, allait aboutir à la mise en place d'une plate-forme Migration et développement, composée initialement du CNCD, de SOLSOC, du Centre de formation pour le développement (ITECO) et d'OXFAM-Solidarité.

En septembre 1999, la plate-forme Migration et Développement (M&D) dégage un emploi mi-temps pour un travail de recherche auprès des associations de migrants, des ONG, des experts et personnes concernées par la coopération au développement. Ceci afin de comprendre et de réfléchir au rôle des migrants, à leurs projets, leurs pratiques et leurs attentes, dans le champ de la solidarité internationale et du développement. Suite à ces démarches prospectives, une dynamique se met en place.

Un projet, La Cellule d'appui ­ migration et développement, est élaboré et soumis à M. Eddy Boutmans, secrétaire d'État à la Coopération au développement.

En janvier 2001, le financement est accordé.

II.3. Pourquoi prendre en compte les migrants dans de le champ de la solidarité internationale ?

De par leurs réflexions, leurs analyses et leur conception du développement, les migrants offrent une complémentarité nécessaire pour l'efficacité et la réussite de la coopération au développement. Ils connaissent « ici » et « là-bas » : la culture, les systèmes et les modes d'organisation sociale, etc., de leur pays d'origine et du pays d'accueil.

De part leurs actions et leurs projets, les migrants favorisent et accompagnent le renforcement ou l'émergence d'une société civile, d'une démarche citoyenne, et de la démocratie dans les pays en voie de développement.

Par la mobilisation que les migrants suscitent au sein des populations issues de l'immigration, ils sont également porteurs de formes de citoyenneté dans les pays développés.

Dans un contexte socio-économique de discrimination et de xénophobie, les actions de développement des migrants contribuent à leur valorisation et à la reconnaissance de leurs compétences.

Étant résidents dans des nations développées, ils donnent aux ressortissants des pays en voie de développement des moyens financiers et des compétences que ceux-ci n'ont pas (transfert de compétences ou de savoir-faire), acquis dans le pays d'immigration.

Ils ont une motivation accrue du fait des membres de leurs familles laissées au pays, de leur militantisme et de leur engagement politique.

Les migrants peuvent constituer des agents de mise en réseau et des traits d'union entre les pays développés et ceux en voie de développement.

De part leur culture, leur savoir-faire et leurs compétences, les migrants et les personnes issues de l'immigration peuvent contribuer et collaborer au développement social des autochtones au sein des pays développés, pour les problématiques posées par des faits de sociétés. Ces projets permettent d'identifier la culture comme un facteur de développement social.

II.4. Quels sont les constats concernant les migrants dans le champ du développement ?

La personne étrangère et d'origine étrangère ne peut réellement être actrice dans les pays en voie de développement que si elle acquière les moyens politiques, légaux, administratifs et économiques d'être un citoyen dans son lieu de vie, dans l'ensemble des communautés immigrées, et dans la société du pays d'accueil.

Pour la personne étrangère, obtenir un visa, un titre de séjour ou la naturalisation, va lui permettre de traverser les frontières, d'avoir un permis de travail, de se constituer en ASBL notamment, et donc de pouvoir être actrice dans son lieu de vie, dans sa communauté et, a fortiori, dans des projets de solidarité internationale. De fait, les migrants très bien insérés et qui ont fait le choix de travailler dans la solidarité Nord/Sud, y développent des projets de qualité.

Les Organisations non gouvernementales (ONG) disposent d'expériences et de pratiques dans le champ de la coopération au développement. Elles ont un encrage dans la société civile « ici » et « là-bas ». Bien qu'elles développent des partenariats avec les organisations du Sud, elles en ont peu avec les migrants.

Les ONG ne connaissent pas, peu ou mal, les réalités socio-économiques et politiques des migrants, ou des personnes issues de l'immigration. De même elles ignorent ou connaissent très peu leurs modes d'organisation, leurs références culturelles, leurs pratiques de solidarité et de coopération avec leurs communautés, leur pays, leur continent d'origine ou d'autres pays du Sud.

Les préjugés et les stéréotypes à l'égard des étrangers résidents dans la société d'accueil, constituent des freins et des obstacles quant à la prise en compte et à la reconnaissance de leurs compétences, de leurs savoir-faire et de leurs connaissances, dans le champ de la coopération au développement. Ils ont des répercutions sur la construction d'un partenariat entre les associations de migrants et les ONG.

Ces éléments contraignants sont renforcés par le fait que les associations de migrants ne sont pas reconnues comme actrices de développement et n'ont pas accès au financement de la coopération au développement, pour des projets et des activités de solidarité internationale. Contrairement aux ressortissants du Sud, qui sont reconnus comme des acteurs de développement et ont accès aux financements de la coopération au développement pour leurs projets et leurs activités de développement.

Les migrants et les personnes issues de l'immigration méconnaissent ou ignorent le champ de la coopération au développement : les structures et les institutions, les politiques, les personnes ressources, les projets et les actions menés et gérés par les ONGD, les critères de subventionnement, etc.

Construire un partenariat, entre les associations de migrants et les ONG, ne peut se dissocier des questionnements concernant les politiques migratoires et celles d'intégration et de développement.

Un partenariat efficace, entre les ONG et les associations de migrants, ne peut se définir et s'élaborer qu'à partir d'une prise en compte réelle et effective du statut d'acteur du migrant dans le champ de la coopération au développement.

II.5. Les objectifs et les missions des programmes Migration et développement

C'est sur la base des points susmentionnés que les objectifs et les missions ont été élaborés.

1. Les objectifs :

a) impulser une collaboration et un partenariat effectifs entre les ONG, les associations de migrants et tout acteur public/privé du développement/de la solidarité internationale.

b) construire et mettre en oeuvre des stratégies visant à favoriser la participation active des organisations de migrants aux dynamiques portées par le monde de la coopération et vice-versa.

c) favoriser des prises de positions conjointes sur les thèmes liés aux problématiques qu'elle traite et qu'elle souhaite voir porter vers le monde politique, la presse et/ou l'opinion publique par les organisations qui la compose.

d) contribuer à enrichir l'approche traditionnelle des questions de développement.

e) renforcer la capacité d'acteur des migrants en tant qu'acteur de développement et appuyer de façon effective les opérateurs migrants dans leurs projets.

2. Les missions :

a) définir les enjeux, les priorités et les stratégies d'actions, élaborer collectivement le programme de M-D, veiller à son application et mettre en oeuvre, en prenant en compte le travail effectué dans les commissions;

b) mettre en réseau et renforcer le partenariat entre les ONGD, les associations de migrants et tout acteur privé/public du développement/de la solidarité internationale;

c) valoriser l'image du migrant par une reconnaissance et une prise en compte effective de leurs connaissances, de leurs compétences, de leurs expertises et de leurs cultures, de même qu'en donnant une visibilité de celles-ci;

d) produire les outils indispensables pour faire connaître, dans le monde associatif et l'opinion publique en général, les attentes et les propositions des organisations de migrants en matière de coopération et de solidarité internationale;

e) jouer un rôle effectif dans le champ de l'éducation au développement.

III. INTRODUCTION AUX RECOMMANDATIONS

Les recommandations du Sénat relative à « Migration et développement » font suite aux auditions et aux travaux de la commission des Relations extérieures et de Défense du Sénat. Ce rapport vise à établir, dans la mesure du possible, des recommandations au gouvernement belge afin de mener une politique de migration et développement cohérente et efficace sur l'ensemble du territoire belge et d'impulser un partenariat effectif entre les ONG, les associations de migrants et tout acteur public ou privé du développement.

Dans ce sens, le Sénat entend ouvrir la voie à une consultation avec les entités fédérés afin d'éviter tout conflit de compétence.

IV. RECOMMANDATIONS

1. Permettre aux migrants de travailler dans des projets de développement qui les intéressent, pour lesquels ils sont compétents, sans perdre leur droit de résidents en Belgique, est un facteur primordial d'intégration « ici » et « là-bas ». Vu l'instabilité et l'insécurité dans les pays en voie de développement, sans des conditions qui les sécurisent par rapport à leurs droits en Belgique, ils restent des assistés sociaux dans le pays d'accueil. Une politique d'intégration des personnes étrangères accroît la mobilité pour les personnes étrangères intéressées et motivées par le développement durable. C'est pourquoi, le Sénat recommande au gouvernement belge et plus particulièrement au ministre de l'Emploi et du Travail, l'insertion socioprofessionnelle des migrants, résidents en Belgique, dans des projets de développement durable réalisés dans les pays tiers de l'UE et dans le cadre d'un partenariat « Nord-Sud ». En ce sens le Sénat recommande au gouvernement :

1.1. Dans le cadre structurel de partenariat entre organisations du « Sud » et du « Nord », d'ouvrir le permis de travail C (ou la création d'un permis spécifique) ­ en se référant ici à la Loi du 15 décembre 1980 relative à l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers ­, à d'autres conditions : permis de travail donnant la possibilité, pour les personnes étrangères de travailler dans des projets de développement durable, dans le cadre structurel de partenariat entre organisations du « Sud » et du « Nord », pour la durée du projet tel qu'il a été avalisé par les instances de la coopération au développement.

1.2. De garantir la résidence en Belgique (cf. Loi du 15 décembre 1980 relative à l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers) de la personne étrangère pendant la durée du projet réalisé dans un des pays tiers de l'Union européenne.

2. Pour des motifs d'immigration interne, de conflits, de catastrophes naturelles, ou autres, on constate, dans certains pays tiers de l'Union européenne, un détricotage social ayant pour conséquences de mettre fin à la transmission de « savoirs » au sein de communautés. Ces savoirs et ces compétences professionnels ne relèvent pas uniquement du domaine universitaire, mais également du domaine technique ou professionnel. Ils constituent des connaissances nécessaires au développement durable, dans des secteurs et des lieux déterminés. La migration peut être un facteur important de transmission mais aussi d'échange de savoirs.

C'est pourquoi, afin de permettre l'accès au territoire aux ressortissants des pays tiers de l'Union européenne, pour toute formation relevant d'un besoin ou d'une demande de compétences professionnelles nécessaires dans le cadre de projets de développement durable, le Sénat recommande l'introduction d'un critère supplémentaire d'accès au territoire dans le cadre de la loi du 15 décembre 1980 relative à l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.

3. Le Sénat recommande le renforcement du partenariat entre les communes, les migrants et leurs organisations. Ce partenariat prendrait en compte des communautés migrantes locales concernées et s'inscrirait dans des démarches de développement et de solidarités internationales. Tout ceci doit se faire par la prise en compte de leurs connaissances d'« ici » et de « là-bas », par une valorisation de leurs savoir faire, de leurs compétences et de leurs expertises. Ceci à travers des projets de jumelage et de développement décentralisés au niveau des communes.

4. Concernant les « Comités de Solidarité Internationale » des Villes et des Communes (parfois intitulé « Commission Tiers Monde »), ceux-ci doivent également être composés des migrants et de leurs organisations. Dans ce sens, le Sénat recommande notamment l'intégration dans ces structures d'un service d'appui et d'accompagnement pour les projets de développement et de solidarité internationale concernant les organisations de migrants.

5. Le Sénat recommande que l'on soit attentif, dans cette politique qui entend soutenir l'interaction entre la migration et le développement, à la manière dont les projets « migrants et développement » peuvent contribuer positivement à la problématique de l'intégration.

Il est recommandé, par exemple, d'être attentif, dans le cadre des parcours d'intégration, à la possibilité de collaborer à des projets sur le thème de la migration et du développement. Une attention particulière doit être accordée aux nouveaux arrivants et à leur expertise. Si l'on s'intéresse, dès le début de leur parcours d'intégration, à la possibilité de collaborer à de tels projets, ils pourront entretenir les liens avec leur pays d'origine, tandis que nous valoriserons leur expertise et que nous contribuerons aussi de cette manière à une intégration positive dans leur nouveau pays d'accueil.

6. Le Sénat recommande la mise en place d'un programme d'intégration dans la société d'accueil pour les demandeurs d'asile dont la demande a été jugée recevable.

6.1. L'apprentissage linguistique est le préalable indispensable à toute formation ou insertion socioprofessionnelle. Cela permettrait également au migrant d'être plus apte à se prendre en charge dans les démarches de demandes d'asile et les processus d'insertion au sein de son nouveau lieu de vie. Pour les migrants qui n'ont jamais été scolarisés, on peut proposer une alphabétisation et, pour d'autres déjà scolarisé, une remise à niveau nécessaire, c'est en ce sens que le Sénat recommande la mise en place de structures permettant l'apprentissage de la langue du pays d'accueil et une remise à niveau.

6.2. Le Sénat recommande également l'octroi de formations. La formation donnée devra être adaptée au niveau scolaire du demandeur d'asile et s'inscrira dans un projet professionnel susceptible de prendre deux orientations : celle du pays d'accueil et celle du pays d'origine ou d'autres pays en voie de développement. Ceci en fonction des critères de choix de la personne concernée, de sa volonté et de ses compétences réelles, ainsi que des besoins du pays d'accueil ou du pays où elle devra poursuive son existence (si elle est déboutée ou si elle a fait le choix d'un départ volontaire).

6.3. Le Sénat considère opportun que ce programme d'intégration serve à des projets de développement. Le migrant bénéficiera d'un plan d'accompagnement assorti d'une aide financière. Il sera encadré par des organisations de migrants ayant des projets de développement et de solidarité internationale, réalisés en collaboration avec leurs partenaires des pays en voie de développement. Ceci en fonction de ses compétences et du domaine souhaité. Cela permettra au migrant de réintégrer son pays d'origine, ou un autre pays en voie de développement, dans des conditions plus « confortables » et sécurisantes, parce qu'encadré par des personnes d'origine migrante, connaissant les réalités d'« ici » et de « là-bas ». De même, cette démarche permettra une meilleure réinsertion dans la nouvelle société et pourra être considérée comme valorisante pour le demandeur d'asile, car le migrant contribuera, par son apport, à la réalisation d'un projet de développement.

7. Le Sénat demande au gouvernement de poursuivre son effort en vue de soutenir financièrement les organisations de migrants et plaide pour la reconnaissance des organisations de migrants qui ont fait leurs preuves comme Organisation Non Gouvernemental de Développement, afin de leur donner une même égalité d'accès que toutes autres structures belges de développement, aux financements de la coopération au développement. Cela afin d'accroître l'efficacité des leurs actions et implications dans la solidarité internationale. En se sens le Sénat recommande au Gouvernement de :

7.1. Retirer le critère de nationalité belge dont une majorité de membres des organes de direction doivent jouir tel qu'énoncé à l'article 10, 7º, de la loi du 25 mai 1999 relative à la coopération internationale, en le remplaçant par le critère de résidence.

8. Le Sénat demande la reconnaissance des migrants comme acteurs d'éducation au développement et ce afin de :

8.1. Leur donner accès aux lignes de financement pour les projets d'éducation au développement,

8.2. Élaborer des programmes relatifs à l'éducation au développement, répondant aux attentes, besoins et demandes (tant dans les sociétés d'accueil, vers les communautés belges et immigrées, que dans les pays d'origine),

8.3. Valoriser leurs connaissances d'« ici » et de « là-bas », par des programmes d'échanges de compétences et de savoir-faire entre les organisations de migrants et tout autre acteur de développement et de la solidarité internationale,

8.4. Contribuer au travail de lutte contre les stéréotypes et les préjugés, qui est le propre de tous les acteurs d'éducation au développement,

8.5. Constituer un réseau Nord-Sud, en éducation au développement, intégrant les associations de migrants,

9. Le Sénat demande que le développement de cette nouvelle ligne politique aille de pair avec une extension du budget de la coopération au développement. Il ne se conçoit pas que ces nouvelles lignes politiques puissent avoir des répercussions sur les budgets couramment attribués à la coopération Nord-Sud.

10. Les transferts financiers des migrants vers leur pays d'origine sont pour ces pays une source importante de revenus. Les frais de transferts sont toutefois élevés et/ou opaques. Les banques brillent par leur opacité et les bureaux de transferts spécialisés brillent, quant à eux, par leur tarif élevé. Le Sénat recommande donc la mise en place d'un groupe de travail afin de rendre plus transparents les bureaux de transferts financiers et éventuellement afin de baisser leur prix. Ce groupe de travail devra identifier les partenaires possibles dans le monde financier belge et des organisations privées et/ou multilatérales (Banques, Banque mondiale, FMI, etc.) qui mènent des actions dans ce secteur dans les pays en voie de développement.

Par ailleurs, on peut prendre des mesures pour encourager les migrants à influencer l'usage qui est fait sur place des fonds transférés. Il y a lieu d'envisager de fournir une information correcte et de renforcer les organisations de soutien (ONG), tant du côté des expéditeurs que du côté des destinataires.

Enfin, il est recommandé que ce groupe de travail étudie également le schéma et la motivation de ces transferts financiers. Des recherches ont par exemple montré que les transferts financiers sont inversement proportionnels au degré d'intégration des nouveaux arrivants. Le groupe de travail « transferts financiers » à créer devrait se pencher sur l'équilibre délicat à trouver entre investissement dans le pays d'origine et intégration dans le pays d'arrivée.

11. Le Sénat recommande au gouvernement belge la mise en place d'une structure Migration et Développement coordonnant les politiques des différents niveaux de pouvoirs, intégrant les domaines politiques concernés par le thème « des politiques migratoires, d'intégration et de développement ». Et ce en vue notamment d'impulser une collaboration et un partenariat effectifs entre les ONG, les associations de migrants et tout acteur public ou privé du développement et de la solidarité internationale. En ce sens le Sénat recommande :

11.1. D'aborder le développement par le thème « Migration et Développement », afin de prendre en compte les communautés de migrants, en tant qu'actrices de développement. Lorsqu'on aborde le développement à travers ce thème, on ne peut dissocier le développement du « Sud » du développement du « Nord ». Si la finalité des programmes Migration et Développement est le développement, les moyens pour y arriver concernent l'ensemble des politiques migratoires, d'intégration et de lutte contre la discrimination.

11.2. La mise en place d'une structure Migration et Développement, en y intégrant ces trois approches ­ migratoire, d'intégration et de développement ­ en vue d'effectuer un travail cohérent, pertinent et davantage efficace.

11.3. Que cette structure de coordination réponde aux demandes d'informations et de service, exprimés tant par les associations de migrants, que par les ONG de développement, les communes, certains ministères, etc. Et cela, afin d'apporter une réponse aux problèmes posés et rencontrès par des différents acteurs.

11.4. De contribuer au renforcement de la capacité d'action du migrant en l'aidant dans sa recherche de solutions aux problèmes qu'il rencontre, tant comme acteur du développement que comme représentant d'association, dans le domaine de la coopération et de la solidarité internationale (recherche de financements et de partenariats, structuration et ingénierie du projet, etc.).

11.5. Que cette structure réponde également à un objectif d'enrichissement de l'approche traditionnelle des questions de développement. Par les données récoltées, elle constituerait un « terreau » riche en informations sur les organisations de migrants et leurs préoccupations, ainsi que sur tout autre acteur impliqué dans le développement. La systématisation et l'analyse de ces données permettraient, à la structure de coordination Migration et Développement, de mieux jouer son rôle d'interpellation du monde politique et d'information vis-à-vis de la presse, et de l'opinion publique (À partir de l'analyse de ces éléments « engrangés », pourrait naître des réflexions et des propositions d'actions).

11.6. Cette structure Migration et Développement aura pour missions de :

11.6.1. D'améliorer la collaboration entre les pouvoirs publics, les ONG et les organisations d'entraide. Il convient à cet effet de faire de la structure « migrants et développement » un véritable centre d'expertise ayant pour fonction de renforcer la collaboration entre les acteurs, d'une part, et de mettre une expertise à la disposition des organisations d'entraide, d'autre part.

11.6.2. De définir les enjeux, les priorités et les stratégies d'actions, d'élaborer collectivement le programme de Migration et développement, de veiller à son application et sa mise en oeuvre.

11.6.3. D'avoir un rôle de lobbying, relatif aux prises de positions sur les thèmes liés aux problématiques qu'elle traite, auprès du monde politique, la presse et/ou l'opinion publique.

11.6.4. De mettre en réseau et renforcer le partenariat entre les ONG de développement, les associations de migrants et tout acteur privé ou public du développement et de la solidarité internationale.

11.6.5. De valoriser l'image du migrant par une reconnaissance et une prise en compte effective de leurs connaissances, de leurs compétences, de leurs expertises et de leurs cultures, de même qu'en donnant une visibilité à celles-ci.

11.6.6. De produire les outils indispensables pour faire connaître, dans le monde associatif et l'opinion publique en général, les attentes et les propositions des organisations de migrants en matière de coopération et de solidarité internationale.

11.6.7. De jouer un rôle effectif dans le champ de l'éducation au développement.

11.6.8. Dans le cadre de la problématique « Migrants et développement », il importe de définir clairement la notion de « développement » dans toutes ses dimensions.

Ce point est crucial, par exemple, en ce qui concerne les transferts financiers. Certains transferts financiers ont un effet positif sur la balance commerciale du pays d'origine, mais un effet négatif sur la balance sociale. Il va de soi que tel ne saurait être le but de cette politique de soutien.

12. Le Sénat recommande la mise en place d'un programme qui informe et accompagne les projets de développement initié par les associations de migrants. Ce service est appelé à mettre l'accent sur sa capacité d'appui, au « Nord » et au « Sud », dans le cadre du montage et de la réalisation de projets. Ce programme n'a de sens et ne peut donner un travail de qualité que s'il s'effectue obligatoirement en partenariat durable avec une structure dans le pays d'origine.

L'OCIV « migratie en ontwikkeling » et le Cire « Migr'Actions », par exemple, ont déjà développé un service d'accompagnement des migrants, et ce afin de les aider à réaliser des projets de développement au sein de leur pays d'origine. Ces expériences devraient être renforcées et approfondies. Le Sénat plaide donc pour un service intégré d'information et d'accompagnement qui aurait pour objectifs :

12.1. De sensibiliser les associations de migrants à insérer leurs projets dans les politiques locales de développement (des autorités décentralisées et de la société civile). Ceci permettra d'augmenter l'impact et la durabilité des efforts dans le cadre de micro-projets qui, par définition, ne disposent que de moyens limités. L'impact d'un projet à petite échelle est non négligeable s'il est inséré dans cette politique de développement.

12.2. D'apporter un appui direct aux projets à petite échelle. Il est très important que l'appui sur le terrain soit réel. Une approche de terrain est indispensable. Au Sud cela veut dire que les organisations d'appui ne peuvent pas avoir un champs d'action trop vaste et doivent aussi attacher beaucoup d'importance aux problèmes pratiques que rencontrent les associations de base dans l'exécution du projet (formation sur mesure, conseils techniques directes, ...). Au Nord, l'offre en formations théoriques est suffisamment grande. Ce qui manque, ce sont des formations d'ordre pratique qui répondent directement aux besoins de l'association dans le montage et l'exécution de leur projet concret.

12.3. De renforcer les capacités des associations-migrants. La réalisation des projets permet aux associations de construire une expérience dans le domaine et d'acquérir des compétences pratiques dans l'exécution, le rapportage et le suivi.

12.4. D'être particulièrement attentif à l'aspect du genre au travers des différents projets dans les pays d'origine. De consentir des efforts supplémentaires afin de renforcer à ce niveau les organisations de femmes allochtones et de les insérer dans le processus.

12.5. De veiller à la communication et la visualisation des projets initiés par les migrants. Les associations-migrants contribuent à l'éducation au développement par une visualisation et une reconnaissance des efforts et des résultats des initiatives de développement. Ce travail leur permet également de se profiler, de développer des réseaux et de s'impliquer davantage dans la communauté belge.

12.6. De contribuer à l'amélioration de l'utilisation des transferts financiers des migrants. Via ce service, les migrants doivent obtenir des informations et des bonnes pratiques sur l'utilisation productive (par exemple, par la création d'activités génératrices de revenu) et l'impact sur le développement de leurs transferts financiers.

13. Afin de reconnaître l'implication des migrants dans les projets de coopération internationale, de considérer les pays d'origine des migrants présents sur notre territoire et de tenir compte de l'apport qu'ils pourraient donner à la coopération bilatérale directe de la Belgique, le Sénat recommande d'ajouter un 8e critère au § 1er de la loi du 25 mai 1999 relative à la coopération internationale et définnissant les critères de choix pour les pays de concentration, libelllé comme suit :

« 8º pays d'origine de population immigrée en Belgique et dont la population pourrait être un acteur important de la coopération. »

V. VOTES

Les recommandations ont été adoptées à l'unanimité des 9 membres présents.

Confiance a été faite au rapporteur pour la rédaction du présent rapport.

Le rapporteur, La présidente,
Jean CORNIL. Anne-Marie LIZIN.

(1) Le texte des auditions sera publié en annexe.

(2) « Une politique communautaire en matière d'immigration », Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen. Bruxelles : Commission des communautés européennes, COM (2000) 757 final, 22 novembre 2000, p. 9.